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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/479

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et précipité sa retraite n’a été évidemment qu’un prétexte. M. Tisza, pressé de toutes parts il y a quelque temps, s’était engagé à proposer une loi permettant au vieux Kossuth, qui réside à Turin, de garder la nationalité hongroise, quoique l’ancien dictateur ait persisté à rester en dehors de toutes les lois et qu’il ait même témoigné récemment son hostilité vis-à-vis de l’empire et de l’empereur. Cette loi paraît avoir rencontré quelque opposition dans le conseil et, vraisemblablement, l’empereur lui-même ne se prêtait pas sans difficulté à un acte exceptionnel en faveur d’un ennemi obstiné. M. Tisza a saisi cette occasion, il s’est retiré ; mais il est bien clair que sa loi de Kossuth n’est qu’un prétexte, que la retraite du premier ministre de Hongrie est la conséquence d’une série de faits, de toute une situation progressivement aggravée, devenue par degrés à peu près impossible pour un chef de gouvernement. Cette crise hongroise, elle se préparait depuis longtemps, elle était prévue et inévitable. Elle avait commencé, il y a plus d’un an déjà, avec les scènes de désordre qui éclataient à Pesth à propos de la loi militaire, qui passaient du parlement dans la rue et prenaient aussitôt le caractère d’une agitation menaçante pour le gouvernement, surtout pour la personne du président du conseil, pour la paix publique elle-même. M. Tisza, on n’en peut disconvenir, a toujours opposé une imperturbable énergie à ses adversaires du parlement, comme aux manifestations populaires ; il a eu, jusqu’à un certain point, raison de l’agitation et des agitateurs. Il avait d’ailleurs avec lui, dans ses luttes, la majorité du parlement, et il a gardé jusqu’au bout la faveur du souverain, qui n’a cessé de le soutenir. Il avait su, de plus, dans ces derniers temps, rajeunir son cabinet par des adjonctions utiles, comme celle du nouveau ministre de la justice, M. Szillagyi. La situation ne restait pas moins critique, singulièrement tendue, et lorsque, il y a quelques jours à peine, de nouvelles violences ont éclaté, le président du conseil a pu s’apercevoir que, s’il avait un moment fatigué ses adversaires, il ne les avait pas désarmés.

C’est alors qu’il s’est décidé. En réalité, M. Tisza quitte le pouvoir, non pour une loi qui n’a pas même été proposée, non devant un vote du parlement, mais parce qu’il avait épuisé pour ainsi dire son autorité, parce que pendant quinze ans de ministère, il avait suscité, par son caractère impérieux et opiniâtre, des animosités acharnées, une opposition résolue à tout pour lui rendre le pouvoir impossible. Restait à le remplacer, et c’est là l’œuvre de l’empereur François-Joseph qui n’a pas quitté Budapesth depuis que cette crise est ouverte. Jusqu’ici, le cabinet hongrois semblerait devoir être peu modifié. Le ministre de l’agriculture, le comte Szapary, prend la présidence du conseil en gardant tous ses autres collègues. En un mot, le ministère reste ce qu’il était, moins M. Tisza, qui, en rentrant comme simple député au parlement, aurait promis son appui ! À dire vrai, la situation fût-elle à demi