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douairière de Conti, et elle voulait empêcher que le maréchal prît la chose en trop mauvaise part. Conti, à sa demande, avait obtenu du roi une patente de généralissime qui lui donnait l’assurance que, si on recourait encore à ses services, le commandement supérieur ne pourrait plus lui être disputé par personne. C’était, en principe au moins, lui donner raison sur le point même du débat élevé entre Maurice et lui, qui lui avait fait quitter l’armée de Flandre. Comment le vainqueur de Fontenoy s’accommoderait-il de cette prééminence attribuée à un rival si peu digne de lui être comparé ? Il fallait à tout prix lui fermer la bouche, d’abord en l’assurant que cette dignité purement nominale ne pouvait l’inquiéter, puisqu’on n’avait aucun dessein de renvoyer le nouveau généralissime à l’armée ; puis (ce qui serait plus efficace encore), en allant au-devant du vœu exprimé en faveur de la princesse qui lui était chère. C’est tout cela qui est renfermé dans ce petit billet de quelques lignes, véritable chef-d’œuvre de diplomatie féminine, qui montre que, dans la pratique de l’art des cours, la fille du commis Poisson n’avait plus son éducation à faire.

— « Vous serez sans doute étonné, mon cher maréchal, d’avoir été aussi longtemps sans avoir de mes nouvelles ; mais vous ne serez pas fâché quand vous saurez que j’ai toujours attendu une réponse que le roi voulait faire à la lettre que vous m’écriviez. J’espère que ce que vous désirez réussira. Le roi vous en dira plus long que moi. Vous savez qu’il a donné au prince de Conti une patente. Soit dit entre nous, cette patente l’a satisfait et a rétabli sa réputation, qu’il croyait perdue. Voilà ce qu’il pense, et moi, je crois que c’est une chose embarrassante pour le roi et qui empêchera qu’on ne se serve de lui autant qu’il le croit. En tout cas, cela ne ferait rien pour vous, et l’on vous mettra toujours à l’abri de la patente. Ne dites mot de cela à âme qui vive. Adieu, mon cher maréchal ; je vous aime autant que je vous admire. C’est beaucoup dire. »

Si bien dorée que fût la pilule, Maurice eut, comme on le verra, quelque peine à la digérer ; mais il sentit que, pour le moment, se plaindre n’avancerait pas sa grande affaire et il contint, pour quelque temps du moins, l’expression de son mécontentement[1].

Mme de Pompadour acquise, c’était beaucoup : ce n’était pas tout. Restaient toujours les partisans de l’alliance espagnole, qui, rebutés, mais non absolument découragés par un premier refus, pouvaient

  1. Auguste III à Maurice de Saxe, 28 septembre 1746. — (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.) — Mme de Pompadour à Maurice de Saxe, 3 octobre 1746. Vitzthum, p. 53.