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avait reçue. Comment Frédéric s’accommodait-il de ce rapprochement avec une cour ennemie ? N’avait-on pas dit, d’ailleurs, un moment qu’il n’eût pas été fâché qu’on songeât à la dernière de ses sœurs non mariée, la princesse Amélie, à qui il aurait permis de se faire instruire dans la religion catholique ? Rien n’était moins vraisemblable ; mais du moment où le bruit s’en était répandu, n’aurait-il pas voulu qu’on lui fît au moins la politesse de s’en enquérir ? D’Argenson restait donc en souci sur ce point si important à ses yeux, et rien ne l’indiquait mieux que le soin avec lequel il avait chargé Valori de bien assurer que Sa Majesté ne serait, après ce mariage, que « plus attachée à contribuer à augmenter le crédit et la considération de S. M. P. dans le Nord. » Il ne respira tout à fait que quand Valori put lui transmettre ce que cet envoyé appelle la plus galante approbation. Frédéric n’hésitait pas à trouver que l’alliance proposée était convenable de tout point et même utile pour disputer la cour de Saxe à l’influence de Vienne et de Saint-Pétersbourg. S’il avait un conseil à donner, ce serait celui-là, et le trait lut bientôt suivi d’une lettre au roi où il exaltait la gloire de non règne, et d’une autre au maréchal de Saxe pour le complimenter sur ses derniers exploits. Rien de plus galant assurément qu’un tel langage. De savoir ce qu’il contenait de sincérité, de dédain, d’ironie ou de calcul, c’est ce qu’il serait difficile de déterminer. En tout cas, dans les termes de déférence où la démarche avait été faite de la part d’un souverain victorieux envers un allié peu sûr, c’était un hommage dont il eût été difficile de ne pas se montrer satisfait[1].

D’Argenson, en recevant les deux envois de Frédéric, eut bien quelque soupçon que le langage en était trop emphatique pour que les sentimens fussent parfaitement sincères. « C’est trop éloquent, trop poétique, écrivait-il à Valori : ce n’est pas ainsi que parle l’amitié. Il prétend trop au bel esprit : c’est un faux goût pour un prince. » Mais il n’en éprouve pas moins, d’un agrément

  1. Frédéric à Chambrier, 8 octobre ; — d’Argenson à Valori, 24 octobre, 18-21 novembre 1746. — (Ministère des affaires étrangères.) — Frédéric à Louis XV, 28 octobre ; au maréchal de Saxe, 23 octobre 1746. (Pol. Corr., t. V, p. 215 et 218.) — Valori, dans ses Mémoires, parle de l’idée de marier le dauphin avec la princesse Amélie comme d’un projet sincèrement conçu par Frédéric et qu’il aurait été bien aise de voir agréer. — Je doute de cette assertion. Frédéric, à ce moment, n’avait nulle envie de s’unir à ce point à la France et encore moins de blesser, par le changement de religion de sa sœur, le parti protestant, dont il tendait au contraire à se rapprocher. Il n’y a pas de trace de ce projet dans la correspondance du ministère français. Le comte de Loos en parle au comte de Brühl comme d’un bruit répandu à la cour. — Flassan (t. V, p. 191) dit que ce fut Maupertuis qui eut cette pensée et la fit passer à Paris comme si elle eût émané de Frédéric. Je ne sais pas où il a trouvé ce détail.