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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/554

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tête, les grâces apprêtées de son style ; Sedaine, honnête et sensible, naïvement amusé par son art ; de Belloy, « le poète citoyen, » à qui l’exploitation du patriotisme tint lieu de talent, tout ravi de son éphémère apothéose. On se doute que celui dont la manière d’être contraste si fort avec ce qui l’entoure ne fut pas seulement un homme de cabinet et de théâtre ; qu’il vécut pour l’action beaucoup plus que pour la littérature et poursuivit la fortune autant que la gloire ; que ses pièces, — car il en a fait, puisqu’il est là, — ne furent pas coulées dans un moule banal. Et lorsque, enfin, on lit le nom gravé sur le socle, non-seulement on n’éprouve pas la déception causée par bien des portraits, mais on trouve, au contraire, que la physionomie de l’homme répond entièrement à l’impression produite par ses ouvrages.

L’accord fut aussi complet entre le caractère de l’écrivain et l’esprit de son temps. Miroir fidèle et mobile, Beaumarchais refléta tout ce qui l’entourait en de vives et rapides images ; passionnant l’opinion, passionné par elle, il en recevait des impressions qu’il lui rendait aussitôt plus fortes et plus profondes. Sans être un Voltaire ou un Jean-Jacques, il termina leur œuvre ; il lança l’esprit du temps, d’une impulsion décisive, vers le but marqué par ses devanciers. De leurs prémisses, il tira des conclusions et, comme on l’a dit, « il appliqua les idées aux choses. » Ses confrères étaient bien de leur temps, eux aussi, mais ce n’étaient que des auteurs. Plus ou moins cantonnés dans leur profession, ils avaient un champ d’observation restreint, et, les yeux fixés sur des modèles mal compris, ils songeaient plutôt à égaler en imitant qu’à créer des modèles nouveaux. Beaumarchais, au contraire, homme universel, fit dans la littérature des incursions de conquérant, mais il ne s’y établit jamais à demeure. S’il imita, ce fut d’une manière originale et, puisant surtout dans son propre fonds, il mit au théâtre lui-même, ses aventures, les idées du jour. De cette poétique inconsciente, il tira des chefs-d’œuvre sans précédens.

Telle est la première idée qu’éveille la comparaison de son image avec le souvenir de ses écrits. Elle se complète et se précise à mesure que l’on pénètre dans l’histoire de sa vie, l’étude de son caractère et l’examen de ses œuvres. Ce mélange de vigueur intellectuelle et de relâchement moral, de lassitude et d’activité, d’enthousiasme et d’égoïsme, de scepticisme et d’illusions, qui constitue l’état d’esprit de la société française au xviiie siècle, se retrouve au complet dans la nature morale de Beaumarchais. Il traversa tous les étages de la société de son temps ; il appartint plus ou moins à tous les mondes. Non-seulement les idées de ses contemporains furent les siennes, mais son expérience très complète de la vie et la souplesse de son intelligence lui permirent de