plus pratique et plus avisé, avec une sorte d’ivresse légère qui le transporte et l’excite. Nature pleine de contrastes, à la fois épicurienne et stoïque, franche et rouée, mélange de don Juan et de Grandison, faite pour l’action et le plaisir, aussi à l’aise dans la défaite que dans la victoire, douée d’une intensité de vie que l’histoire d’aucun écrivain n’offre à un pareil degré.
Le premier service que lui rendent sa faveur et son aisance mondaine est de l’introduire dans la finance. Il oblige un homme qui remue des millions : quelle aubaine pour lui ! Car il aime l’argent. Non pour des satisfactions de luxe ou de vanité : s’il le dépense royalement, il sait, quand il le faut, porter gaîment la misère ; mais comme la plus puissante des armes, le levier universel. En cela, non-seulement il est de son siècle, mais il le devance. Le voilà donc spéculateur, et il le demeura toute sa vie, tour à tour marchand de forêts, de livres, de fusils, armateur et commissionnaire, prêteur et banquier ; il voudra même un instant, malgré l’affectation d’une philanthropie sujette à de singulières défaillances, perfectionner la traite des nègres. Cette préoccupation de l’argent, il la portera jusque dans la littérature ; il aura le premier la conviction nette que la propriété littéraire est une propriété, et que la gloire ne perd rien à savoir s’administrer. Sachons-lui gré d’une audace en faveur de laquelle, un siècle auparavant, Boileau plaidait les circonstances atténuantes. Pour un écrivain, ne dépendre que de ses œuvres, c’est l’indépendance, par suite la dignité ; si Beaumarchais ne sut pas toujours conserver ces biens précieux, il les assura du moins à ses successeurs.
Combien d’autres, une fois riches, — et il le fut de bonne heure, — n’auraient songé qu’à jouir tranquillement des faveurs du sort ! Il n’est pas l’homme de « cette philosophie médiocre. » Il n’aime pas seulement l’action, mais le bruit ; il veut entendre autour de son nom comme une rumeur continuelle. Enfin, il a ou croit avoir tous les talens, et il prétend les exercer tous. Or, au temps où il vit, entre les diverses sortes de gloire, celle du théâtre est la plus enviée. Dans ce Paris amoureux de spectacles, elle passionne toutes les classes ; chaque soir la rajeunit et la renouvelle ; on n’est un homme connu qu’après avoir fait une tragédie.
Mais si la tragédie conserve encore son rang dans la hiérarchie des genres, on commence à la discuter ; on vante une forme plus large et plus souple, le drame, qui mêle le rire aux larmes et admet toutes les conditions au privilège d’attendrir. Il y a, dans ces idées de Diderot, de quoi tenter un esprit aventureux ; Beaumarchais compose donc Eugénie, puis les Deux Amis, en reprenant, dans une longue préface, — étonnant mélange d’esprit pratique et d’utopie, avec plus de celle-ci que de celui-là, — la thèse sou-