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adressées. Julien fit investir la place à la faveur de la nuit. Le jour venu, la place capitula.

Les tempêtes qui peuvent éclater sur un fleuve seront peut-être considérées par les marins habitués aux cyclones comme des tempêtes dans un verre d’eau. Ceux qui en jugeront ainsi ne connaissent pas les tempêtes de l’Euphrate. Le Sam dans sa furie est de taille à couler un steamer. Qu’on juge des ravages qu’il peut produire dans une flottille composée de bateaux ouverts et de radeaux soutenus par des outres ! Le 7 avril 363, l’épreuve qui n’a jamais été, que je sache, épargnée aux grandes expéditions où les flottilles ont joué un rôle, vint assaillir l’expédition romaine. Le soleil, à son déclin, approchait de l’horizon. En ce moment, un petit nuage apparaît. Le ciel, en quelques minutes, se trouve envahi par une brume épaisse. L’obscurité est complète. Les éclairs la sillonnent sans la dissiper. Les éclats de la foudre se mêlent constamment aux grondemens menaçans du tonnerre. Le vent passe en tourbillonnant sur le camp. Les tentes sont arrachées, les soldats renversés sur le dos ou jetés la face contre terre. Nul ne peut se tenir debout. Le fleuve gonflé sort de son lit et emporte les barrages qui le contiennent. La flottille tout entière est en péril.

L’ouragan cependant a passé ! la flottille se compte. Le dommage sera moins grand qu’on ne pouvait l’appréhender. On en sera quitte pour la perte de quelques barques chargées de provisions. En toute affaire de guerre, il faut savoir faire la part du feu. L’essentiel est de garder son sang-froid et de ne pas voir dans le moindre accident un sinistre présage.

Dès le lendemain, la flottille et l’armée ont repris leur route. Encore un fort à investir. Ces opérations de détail absorberaient trop de temps. Julien donne ordre de passer outre. Si Sapor est vaincu, le fort tombera de lui-même. On ne s’amusera plus à investir les forts ; on ne se refusera pas l’avantage de piller les villes. Il importe de ménager les provisions que transporte la flottille et de vivre autant que possible sur le pays. L’armée, grâce à la flottille, passe avec une facilité merveilleuse d’une rive à l’autre. Sur la rive droite elle envahit Diacira et y trouve beaucoup de blé ; sur la rive gauche où le pillage n’est pas moins fructueux, on lui montre à Zaragardia une pierre que les gens du pays appellent encore le trône de Trajan.

On approchait rapidement du centre de la puissance persane. Les abords en étaient fortement gardés. Ils l’étaient surtout par la nature du pays coupé de canaux et de marais. Il fallait, pour arriver sous les murs de Ctésiphon, passer de l’Euphrate au Tigre. On le faisait facilement au temps de Sémiramis, de Cyrus ou d’Alexandre.