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prolétaires, dont les masses compactes accroissent si rapidement les rangs de la démocratie socialiste en Allemagne, pourront marcher à l’assaut du gouvernement, en réclamant de la caisse publique des subventions plus larges. En tacticiens avisés, les meneurs du parti conduiront leurs électeurs au scrutin par l’appât d’augmentation des pensions que les députés élus devront s’engager à voter. C’est le coin introduit dans l’édifice social actuel et qui menace de le renverser tôt ou tard. Tous les sujets assurés en vertu de la loi ont un intérêt trop évident dans les augmentations en perspective. Quelle ironie du sort déjoue ainsi les prévisions et les calculs de l’homme réputé être le plus grand diplomate de notre époque, fort de l’ascendant que donnent des succès inouïs, mais engagé dans une entreprise redoutable, en s’appuyant sur un jeune souverain inexpérimenté, sur une bureaucratie trop docile, sur une majorité parlementaire prête à toutes les complaisances ! La majorité gouvernementale qui a porté le socialisme d’État en Allemagne à son degré le plus intense, il est vrai, se trouve déjà renversée. Conformément à nos prévisions, la création des rentes à servir par l’État aux invalides du travail a été suivie d’une formidable recrudescence des voix socialistes, lors des élections du 20 février dernier pour le renouvellement du Reichstag. Bien plus, les progrès du socialisme inquiètent le gouvernement impérial à tel point que Guillaume II convoque ou invite les gouvernemens européens à une conférence internationale pour aviser aux moyens de donner satisfaction aux revendications des ouvriers excités par les chefs de la démocratie socialiste.


I

Ce n’est pas le fait même de l’assurance contre l’invalidité et la vieillesse qui rend cette institution si dangereuse pour l’avenir. On pouvait organiser le service des pensions aux vieillards et aux invalides sans aucun risque, comme les caisses de malades et les corporations professionnelles obligatoires[1] pour indemniser les victimes des accidens du travail. Le point critique de l’institution nouvelle se trouve dans l’engagement pris par l’État de se charger du service des rentes, avec des subventions de l’empire, comme d’un service à lui propre. Déjà le simple fait de l’insuffisance des rentes, telles que la loi en a provisoirement fixé le montant, pour assurer aux sujets pensionnés une existence convenable, amènera ceux-ci à demander des augmentations. Ces augmentations pouvant

  1. Voyez dans la Revue du 15 février 1888, l’étude sur les assurances ouvrières et la loi de répression.