Nous venons de montrer les dispositions essentielles de l’institution appelée aux yeux de ses promoteurs à assurer la paix sociale dans l’empire allemand. Sur les cent soixante-deux articles dont se compose la loi organique sur l’assurance des ouvriers contre l’invalidité, quatorze sont consacrés aux dispositions pénales, en cas de contravention. Ces détails ne nous intéressent pas assez pour nous arrêter davantage. Pour discerner les effets de cette institution, il n’est pas nécessaire d’attendre son application prolongée. Ses effets ne donneront pas satisfaction aux mécontens et n’apparaissent pas comme une panacée contre la misère. La misère favorise le développement du socialisme révolutionnaire, sans en être la cause unique. Sans croire à l’existence d’une panacée, et malgré une méfiance invincible pour les guérisseurs de la société humaine nous croyons à la possibilité de diminuer la misère dans le monde au moyen des institutions de prévoyance. C’est pour ce motif que nous avons contribué à introduire l’assurance obligatoire contre la maladie et contre les accidens du travail, comme nous aurions voulu assurer une retraite aux invalides. Nous avons combattu l’organisation des caisses de retraite subventionnées et administrées par l’État uniquement pour la raison que l’organisation proposée au Reichstag allemand présente plus de dangers que d’avantages pour la paix sociale.
Volontiers, nous reconnaissons les bonnes intentions qui ont inspiré les promoteurs des assurances ouvrières, instituées sous le patronage de l’Etat. Supprimer la misère dans son pays, assurer des ressources suffisantes pour une existence convenable aux sujets devenus incapables de travailler par suite d’accident, de maladie ou de vieillesse, quel idéal digne d’un prince généreux, secondé par des ministres éclairés ! Quel stimulant surtout pour des hommes politiques auxquels la réalisation de cette œuvre apparaît comme un moyen de consolider l’ordre existant ! Ainsi compris, le socialisme d’état du prince de Bismarck répondrait à des intentions fort bonnes, et dignes d’assentiment, si de bonnes intentions l’enfer n’était pavé. L’illusion invétérée du chancelier est qu’en assurant aux sujets allemands sans ressources une rente servie par l’État, tout ce peuple de rentiers en perspective sera intéressé à conserver le régime établi sous sa forme actuelle. En France, a-t-il dit, dans son dernier discours au Reichstag, le 18 mai 1889, l’attachement du grand nombre pour le gouvernement établi, même quand le gouvernement est mauvais, s’explique par le fait que la