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Il faut dire pourtant que l’autorité, qui, en se mêlant aux querelles religieuses, les envenimait, avait fait aussi, quelques efforts pour les apaiser. On est surpris de voir qu’autour des princes chrétiens, au centre même du gouvernement, elles paraissent moins violentes qu’ailleurs. Les empereurs qui semblent le plus zélés pour leur foi n’hésitent pas à employer des gens qui pratiquent des religions contraires, et même à les élever aux premières dignités de l’empire, quand ils sont contens de leurs services. Peut-être ne faut-il pas leur en savoir trop de gré. Il y a des nécessités qui s’imposent à tous ceux qui gouvernent, quelles que soient leurs dispositions et leurs préférences. Un bon général, un administrateur habile, sont toujours rares, et un prince qui est sage les prend où il les trouve. Mais il naissait de là des contrastes fort singuliers. L’empereur poursuit le paganisme avec acharnement ; il veut à toute force le détruire ; dans les édits qu’il publie contre lui, il enfle la voix pour le menacer : Cesset superstitio ; sacrificiorum aboleatur insania ; et, en même temps, il s’entoure de païens que non seulement il nomme préteurs et consuls, préfets de la ville et du prétoire, mais auxquels il confie des charges de cour qui les approchent de sa personne. Nicomachus Flavianus, dont on sait les opinions, fut quelque temps une sorte de favori de Théodose et obtint la questure du palais, poste de confiance, que l’empereur ne donnait qu’à ceux dont il était sûr.

Il en résulte que le conseil de Valentinien et de Théodose devait ressembler à celui de beaucoup de princes de nos jours. On y voyait siéger ensemble des personnes de religion différente, occupant des magistratures semblables, associés aux mêmes affaires. Nous regardons comme une grande victoire du bon sens, qui a coûté des siècles de combats, qu’on ait fini par ne plus demander compte à ceux qu’on admet aux emplois publics du culte qu’ils professent et par croire qu’ils peuvent être séparés sur tout le reste, pourvu qu’ils soient unis par le désir d’être utiles à leur pays. Les Romains du IVe siècle y étaient arrivés du premier coup. La nécessité leur avait fait trouver une sorte de terrain commun sur lequel les gens de tous les partis pouvaient se réunir : c’était le service de l’état, auquel des païens résolus, comme Symmaque ou Nicomer, et des chrétiens pieux, comme Probus ou Mallius Theodorus, consacraient leur vie avec un dévoûment, une fidélité, qui ne se sont jamais démentis. Au fond, ces grands personnages ne s’aimaient guère ; mais l’habitude de se fréquenter, d’être assis dans les mêmes conseils, de travailler à la même œuvre, avait amené entre eux une sorte d’accord et de tolérance réciproque dont l’empire aurait tiré un grand profit, s’il avait su s’en servir. On a cru