maison du bruit de leur tonnerre. Comme ministre des affaires extérieures, il observait les formes ; comme chancelier de l’empire et président du ministère prussien, il faisait tout plier sous son impérieuse et inflexible volonté, ne souffrait aucune représentation. Il exigeait que rien ne se fît que par ses ordres, et son contrôle s’étendait aux moindres choses. Les grandes affaires n’absorbaient pas les petites, aucun détail ne lui semblait indifférent, les peccadilles étaient des péchés, les péchés étaient des crimes.
Tant qu’il a été en pleine possession de ses forces, il a pu suffire à son prodigieux labeur. Mais, si robuste qu’on soit, le jour vient où les forces déclinent. Depuis bien des années déjà, M. de Bismarck, pour se reposer l’esprit et l’humeur, faisait de longues retraites à Varzin ou à Friedrichsruhe et restait des mois entiers sans se montrer à Berlin. Du fond de ses forêts, cet éternel absent gouvernait par procuration, et il était rarement content de ses procurateurs fondés : il se plaignait que ses ordres étaient mal exécutés ou mal compris. Tout récemment, c’était M. de Bötticher qui remplissait le rôle peu enviable d’intermédiaire entre l’empereur et le chancelier, et plus d’une fois il a maudit son sort : le marteau était lourd, l’enclume était dure. Le chancelier s’en prenait à lui de tous les incidens fâcheux qui se produisaient, l’empereur lui en voulait de n’oublier jamais qu’il avait reçu un mandat impératif et de répéter une leçon soufflée. Aussi assure-t-on que cet homme jovial et d’abondante conversation en était venu à ne plus oser rien dire. Il est bien difficile de concilier l’absentéisme avec l’omnipotence. La machine se détraquait par les frottemens et l’Allemagne le sentait. « Le chancelier des Berlinois, disait un paysan franconien, veut mettre son nez partout, et il n’est jamais là. »
Ce chancelier, qui voulait tout faire, était infiniment jaloux de son autorité ; il avait pour devise, a-t-on dit : « Rien au-dessus de moi, rien à côté de moi. » Ce chêne gigantesque répandait sur la terre une ombre si épaisse qu’aussi loin que s’étendaient ses branches, aucun brin d’herbe ne pouvait pousser. Il estimait que la responsabilité reposant tout entière sur sa tête, son souverain ne devait consulter que lui, ne s’entendre qu’avec lui, et quiconque passait pour avoir l’oreille du maître était un ennemi qu’il s’appliquait à détruire. L’aigreur et la violence qu’il a déployées dans certains procès politiques ont fait tort à sa popularité ; les petits, qui sont candides, s’étonnent de découvrir des petitesses dans leurs grands hommes.
Au cours de l’entretien qu’il eut, en 1879, avec le très intelligent et très regrettable comte de Saint-Vallier, il s’épancha librement et s’avança jusqu’à dire : « J’ai un grand respect, un profond attachement pour l’empereur, et je crois lui avoir prouvé mon dévoûment plus souvent qu’il ne m’a montré sa reconnaissance Mais je dois dire que si j’ai dépensé mes forces, ma santé, ma vie pour son service, il