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a sauvé l’œuvre un instant compromise. Plus on avait craint un échec, plus on a joui d’un succès : nous, particulièrement, heureux d’avoir à justifier seulement le sentiment presque général au lieu de le discuter et au besoin d’y contredire.

Rappelons sommairement un livret que tous nos confrères ont pris avant nous la peine d’analyser. Véritable peine en effet, les drames historiques, les drames sinon d’intrigue, au moins d’action, n’étant pas faciles à raconter clairement. Voici les faits : d’une part, la duchesse d’Étampes aime l’élève, presque l’enfant de Benvenuto Cellini, Ascanio, lequel aime Colombe, la fille de d’Estourville, le prévôt de Paris. D’autre part, la Florentine Scozzone aime ardemment Benvenuto, dont elle est depuis longtemps et la maîtresse et le modèle. Mais Benvenuto, lui aussi, s’éprend de Colombe et tout le drame est fait du conflit de ces divers amours : les uns, méchans et qui se vengent ; les autres, généreux et qui s’immolent. Benvenuto, le premier, sacrifie son bonheur à celui de Colombe et d’Ascanio. Touchée à son tour par cet héroïque exemple, Scozzone, qui d’abord avait juré avec la duchesse d’Étampes la perte de leur commune rivale, Scozzone, pour sauver la jeune fille, donne plus que son bonheur, sa vie, et voici de quelle manière. Colombe, enlevée par Ascanio, s’est réfugiée avec lui dans l’atelier de Benvenuto, où elle est poursuivie et sur le point d’être surprise. Heureusement, un grand reliquaire d’or est là, qui doit être envoyé par Benvenuto au couvent des Ursulines. Colombe se cachera dans le reliquaire ; la supérieure du couvent, sa marraine, la délivrera et la mettra sous la protection de la reine. Mais la duchesse d’Étampes, qui sait l’enlèvement de Colombe, la complicité de Benvenuto et la ruse imaginée pour faire évader la jeune fille, a donné ses instructions à Scozzone : ce n’est pas au couvent qu’ira le reliquaire, mais au Louvre, chez la duchesse. Il y restera trois jours, assez longtemps pour ne se rouvrir que sur un cadavre. Au dernier moment, Scozzone recule devant le crime ; c’est elle-même qui s’ensevelit vivante à la place de Colombe, et au lieu de tuer, elle meurt.

Devons-nous décider tout d’abord si la partition écrite par M. Saint-Saëns sur ce canevas qui en vaut bien d’autres, est un opéra ou un drame lyrique ? Non, parce qu’il faudrait auparavant s’entendre sur la signification respective des deux termes et que l’entente n’est pas faite. Des mots, des mots ! — Autre question préalable, non moins stérile, et non moins obligatoire : celle des leitmotive. J’aime mieux vous le dire tout de suite : plusieurs thèmes caractéristiques des personnages et des sentimens reviennent dans le cours de la partition, non-seulement rappelés, mais variés, nuancés avec beaucoup d’habileté et de finesse par des altérations significatives de rythme, d’harmonie ou d’instrumentation. Mille exemples viendraient à l’appui de notre affirmation.