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n’est que trop tenté de préférer sa barque au navire ; si l’on veut qu’il y monte et qu’il y travaille, il faut lui fournir des facilités et des motifs pour y monter et y travailler ; à tout le moins, il ne faut pas lui en ôter. Or cela dépend de l’État, sorte de vaisseau amiral et central, seul armé, qui tient sous ses canons tous les navires subordonnés ; car, quelle que soit la société, provinciale ou municipale, enseignante ou hospitalière, religieuse ou laïque, c’est l’État qui en fabrique ou en adopte le statut, bon ou mauvais, et qui, par ses lois, ses tribunaux et ses gendarmes, en procure l’exécution, stricto ou lâche. Partant, sur cet article, il est responsable ; à lui d’agréer ou d’imposer le bon statut, la forme sociale la plus propre à fortifier l’instinct social, à entretenir le zèle désintéressé, à encourager le travail volontaire et gratuit.

Bien entendu, selon les différentes sociétés, cette forme diffère ; la même constitution ne convient pas à une Église et à une commune, à une Église protestante et à une Église catholique, à une ville de 100,000 âmes et à un village de 500 habitans. Chaque association a ses traits distinctifs et propres qui la rangent dans son espèce, selon son but spirituel ou temporel, selon son esprit libéral ou autoritaire, selon ses dimensions petites ou grandes, selon la simplicité ou la complication de ses affaires, selon la capacité ou l’incapacité de ses membres : ce sont là, chez elle, des caractères efficaces et permanens ; quoi que fasse le législateur, ils subsisteront et agiront ; ainsi, que dans chaque cas il en tienne compte. — Mais, dans tous les cas, son office est pareil ; toujours, quand il rédige ou contresigne un statut, il intervient dans le conflit prochain de l’instinct social et de l’instinct égoïste ; toutes les dispositions qu’il édicté contribueront, de près ou de loin, à l’ascendant final du second ou du premier. Or, il est l’allié naturel du premier ; car le premier est son auxiliaire indispensable ; en toute œuvre ou entreprise utile au public, si le législateur est le promoteur externe, l’instinct social est le promoteur interne ; et, quand le ressort d’en bas faiblit ou se casse, l’impulsion d’en haut reste sans effet. C’est pourquoi, si le législateur veut opérer en fait et autrement que sur le papier, il doit, avant tout autre objet ou intérêt, se préoccuper de l’instinct social, partant le préserver et le ménager, lui trouver sa place et son emploi, lui laisser tout son jeu, tirer de lui tout le service dont il est capable, surtout ne pas le détendre et ne pas le fausser. — À cet égard, toute méprise serait funeste, et dans tout statut, pour chaque société, pour chacun de ces navires humains qui groupent et emploient un cortège de barques individuelles, deux erreurs sont capitales. D’une part, si, en fait et en pratique, le statut est ou devient trop grossièrement