Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/732

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me refuser pour ma part à une dépense dont je bénéficierai pour ma part. — Quant à ma part dans la dépense, elle est d’avance fixée, et fixée par ma part dans les bénéfices : Qui reçoit doit, et en proportion de ce qu’il reçoit ; tel est l’échange équitable ; sans lui, aucune société n’est prospère et saine ; il faut que, pour chaque membre, les charges compensent exactement les avantages, et que les deux plateaux de la balance se lassent contre-poids. Dans la société locale, les soins que l’on donne à la voie publique et les précautions que l’on prend contre les fléaux naturels ont deux effets utiles, l’un qui améliore surtout la condition des personnes, l’autre qui améliore surtout la condition des choses. Le premier est égal et le même pour tous ; autant que le riche, le pauvre a besoin d’aller, de venir, de vaquer à ses affaires ; il use autant de la rue, du pavé, des trottoirs, des ponts, des chaussées, de la fontaine ; il jouit autant du balayage, de l’éclairage et des jardins publics. On peut même affirmer qu’à certains égards il en profite davantage ; car il souffre plus vite et plus à fond quand la dégradation des chemins suspend les transports, arrête le travail et renchérit les vivres ; il offre plus de prise à la contagion, aux épidémies, à tous les fléaux physiques ; en cas d’incendie, les risques de l’ouvrier dans son grenier, au sommet d’un escalier étroit et raide, sont plus grands que ceux du propriétaire opulent au premier étage, dans un hôtel muni de larges escaliers ; en cas d’inondation, le danger est plus subitement mortel pour le petit villageois, dans sa chaumière fragile, que pour le gros cultivateur, dans ses bâtisses massives. Ainsi, de ce chef, le pauvre doit autant que le riche ; du moins, le riche ne doit pas plus que le pauvre ; si, chaque année, le pauvre ne peut payer qu’un franc, le riche, chaque année, ne doit payer que vingt sous. — Au contraire, le second avantage n’est pas égal pour tous, mais plus ou moins grand pour chacun, selon sa dépense sur place, selon ses bénéfices industriels ou commerciaux et selon son revenu local. En effet, plus la voie publique est parfaite, plus les nécessités et les commodités de la vie, toutes les choses agréables ou utiles, même distantes et lointaines, sont à ma portée et à ma disposition, sous ma main ; j’en jouis effectivement, et ma jouissance a pour mesure l’importance de mes achats, mes consommations en tout genre, bref ma dépense à domicile[1]. Si je suis, en outre, industriel ou commerçant, l’état de la voie publique me touche encore de plus près ; car

  1. De là les centimes additionnels à l’impôt des portes et fenêtres, dont le nombre indique à peu près le chiffre du loyer. De là aussi ces centimes additionnels à l’impôt mobilier, qui est proportionnel au chiffre du loyer, le chiffre du loyer étant considéré comme l’indice le plus exact de la dépense sur place.