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Quelques-uns même, en pleine paix, attirèrent les supplices sur eux en venant déposer leurs armes aux pieds de leurs chefs et déclarer que leur foi ne leur permettait pas de se battre,

C’est ce qu’aucun prince ne pouvait autoriser sans se perdre. Si le christianisme voulait devenir la religion de l’État, il lui fallait au plus tôt répudier ces doctrines. Il ne s’y résigna qu’avec beaucoup de répugnance, et, de toutes les concessions qu’il a faites pour se plier aux nécessités d’un gouvernement, aucune ne semble lui avoir coûté davantage. Même après Constantin, nous voyons saint Martin, qui était centurion, se présenter à l’empereur, à la veille d’une bataille, et lui dire : « Je suis soldat du Christ ; il ne m’est pas permis de tirer l’épée. » Le bon saint Paulin, qui pourtant avait été consul et mêlé aux grandes affaires, félicite beaucoup Victorius d’avoir jeté son baudrier militaire, quand il devint chrétien. Il y avait là, il faut le reconnaître, de quoi justifier Volusianus quand il affirmait « que le christianisme est contraire au salut des États. »

Mais saint Augustin, lui, n’hésite pas ; il a compris, avec son grand bon sens, que la sécurité de l’empire et le salut de la civilisation romaine exigeaient qu’on rassurât la conscience des soldats. Pour leur laisser leurs forces intactes, il fallait leur ôter leurs scrupules. Il affirme donc à Volusianus que le christianisme ne condamne pas la guerre, quand elle est juste et qu’on la fait avec humanité. Le Christ n’a pas dit aux soldats qui venaient à lui de quitter l’armée ; il leur a dit : « Gardez-vous de toute concussion et de toute violence et contentez-vous de votre solde. » Ce qui indique bien qu’il leur laissait le droit de porter les armes. Voilà la doctrine de saint Augustin. Ce qu’il a dit à Volusianus, il le répète avec la même force au comte Bonifacius, gouverneur de l’Afrique, qui l’a consulté : « N’allez pas croire qu’on ne puisse pas plaire à Dieu dans les camps : David était un guerrier ; » et il le redit encore à plusieurs reprises dans la Cité de Dieu. C’était, du reste, à ce moment, la doctrine officielle de l’Église : dès 314, quelque temps après la victoire de Constantin, un concile d’Arles avait prononcé l’anathème contre ceux qui se refuseraient au service militaire.

Devons-nous penser que ces hésitations, ces incertitudes ont pu, à de certaines occasions, jeter le trouble dans l’âme des soldats ou détourner des camps quelques-uns de ceux qui auraient pu y rendre des services ? En faut-il conclure que la responsabilité du christianisme est engagée dans l’affaiblissement de l’esprit militaire, qui fut une des grandes causes de la ruine de l’empire ? C’est bien possible. N’oublions pas pourtant que cet affaiblissement remonte