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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/824

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toutes les élégances, artiste d’une perfection impeccable dans tous les exercices du gentilhomme, modèle accompli des Cavaliers d’Angleterre, qui, de l’épée et de la bourse, venait de soutenir pendant quatre longues années le trône chancelant de Charles Ier. C’est un amour très particulier que celui de la duchesse pour son mari où se révèle en pleine évidence la femme d’un mérite supérieur, car c’est là ce qu’elle fut réellement et le titre qu’il convient de lui donner. Elle n’en fut jamais éprise, c’est elle qui le confesse ingénument[1], et cependant elle l’aima profondément, d’un amour fait de droiture et de bon jugement. Elle lui fut une compagne vaillante et dévouée pendant les années d’exil, une compagne loyalement soumise pendant les années de sa retraite volontaire après le retour. Comme elle ne pouvait guère se dissimuler que c’était à l’exil et au malheur qu’elle devait un tel mari, on serait tenté de croire que, par une délicatesse d’un tour noblement excentrique, elle voulut lui vouer une affection conforme aux circonstances qui le lui avaient donné, si elle n’avait pris soin de nous apprendre que cette manière d’aimer lui était naturelle et qu’elle n’en connut jamais d’autre. Laissons-la expliquer elle-même avec la bizarre éloquence qui lui est propre la nature de cet amour et la forme générale qu’avait prise chez elle cette plus tyrannique de nos passions.


Quoique je craignisse le mariage et que j’évitasse les compagnies des hommes autant que je le pouvais, cependant je n’eus ni la volonté ni la force de le refuser par la raison que mon affection s’était portée sur lui, et il fut la seule personne que j’aie jamais aimée. Avouer cet amour ne m’était pas une honte, au contraire, je m’en faisais gloire. Car ce n’était pas un amour amoureux. Je ne fus jamais infestée d’un tel amour, c’est là une maladie, ou une passion, ou l’une et l’autre chose à la fois, que je connais par ouï-dire seulement, mais non par expérience. Ce ne furent ni le titre, ni la richesse, ni la puissance, ni la personne qui m’invitèrent à l’aimer, mais mon amour fut honnête et honorable, parce qu’il eut le mérite pour objet. Cette affection trouvait joie dans le renom de sa valeur, plaisir dans les charmes de son esprit, orgueil dans le respect qu’il me montrait, triomphe dans les sentimens qu’il professait pour moi. Ces sentimens, il me les a confirmés par un acte du temps, scellés par sa constance, assignés par un inaltérable décret de sa promesse, et ils font mon bonheur en dépit

  1. C’est peut-être ce naïf aveu qui explique pourquoi l’esquisse autobiographique de la duchesse qui figurait dans la première édition de son livre intitulé : Nature’s pictures, publié en 1656, fut supprimée presque aussitôt après. Il est permis de supposer que le duc, célèbre par ses bonnes fortunes dont sa femme le loue avec l’indulgence d’un cœur qui n’a pas de jalousies rétrospectives, aura été quelque peu blessé de l’aveu et obtenu la suppression de l’écrit qui le contenait.