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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/827

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son mari, et de diminuer ainsi les privations dont il souffrait. Sir Charles Cavendish ne revit l’Angleterre que pour y mourir, et la duchesse, qu’il y laissa, exprima les regrets que lui causait cette perte dans une page admirable de tendresse pompeuse que nous citerons plus tard comme exemple du style qui lui est propre. Mais à défaut de cette page, voici une petite pièce de vers, écrite du vivant de sir Charles Cavendish, d’où il vous semblera peut-être, comme à nous, qu’il s’échappe un secret de chaste, timide et religieuse affection.


Sir Charles est entré dans ma chambre pendant que j’écrivais ma Reine des fées. « Je vous en prie, m’a-t-il dit, lorsque vous verrez la reine Mab, présentez mes services à Sa Majesté, et dites-lui que la renommée a porté jusqu’à moi de hauts éloges et de sa beauté, et de la magnificence de sa cour. » Lorsque je vis la reine Mab dans l’intérieur de mon imagination, mes pensées s’inclinèrent humblement par crainte de trop peu de respect : baisant son fin vêtement tissé par la fantaisie, je m’agenouillai sur une de ces pensées, comme quelqu’un qui prie, et alors dans de doux chuchotemens, je lui présentai le message d’humble service qu’il lui avait gaîment envoyé. C’est ainsi que par le secours de l’imagination je suis allée à la cour des Fées et que j’en ai vu la reine.


Qu’il y a de délicatesse noble dans cette pensée à la fois chérie et refoulée, sur laquelle elle s’agenouille comme pour prier ! Si c’est un aveu, loin d’accuser le cœur de la duchesse, il en prouve la parfaite pureté, et confirme ce qu’elle dit d’elle-même : « Je suis chaste à la fois par nature et éducation à ce point que j’abhorre toute pensée qui ne l’est pas. » A une femme de telle droiture il a suffi d’un certain degré de vivacité dans le sentiment pour lui faire comprendre le danger des sympathies les plus naturelles et les plus innocentes, et elle semble l’avoir senti, à preuve cette pensée si vraie et si franchement exprimée : « L’amour platonique est un entremetteur de l’adultère. » Les pensées et maximes de la duchesse sont parfois alambiquées, mais il y a un sujet sur lequel elles sont toujours d’une netteté parfaite, et c’est le sujet de la vertu féminine. Un ou deux exemples en passant, choisis entre dix autres : « Si une femme fait une tache à sa réputation, elle ne peut plus jamais l’effacer. » — « Un homme est aussi souvent déshonoré par l’indiscrétion de sa femme que par sa déshonnêteté. »

La duchesse fut puissamment aidée dans sa carrière de vertu par certaines qualités négatives qui sont peut-être les plus précieuses, pour le bon ordre d’un ménage et la tranquillité d’un mari. Jamais femme de si haute condition n’a été dénuée à ce point de