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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/840

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Ferabosco[1] est vraiment très brune, et elle a de bons petits yeux noirs, mais somme toute, elle me semble une femme très ordinaire, sauf qu’on dit qu’elle chante bien. La duchesse a été une bonne et aimable femme, mais son costume est tellement grotesque et en même temps sa manière d’être si ordinaire que je ne l’aime pas du tout ; je ne l’ai entendue dire quoi que ce soit valant la peine d’être écouté, si ce n’est qu’elle était pleine d’admiration, et encore d’admiration. Quelques belles expériences sur les couleurs, les pierres d’aimant, les microscopes, les liquides, lui lurent montrées, entre autres une belle pièce de mouton rôti qui fut en sa présence changée en sang pur. Après qu’on lui eut montré ces expériences, et qu’elle eut encore crié qu’elle était pleine d’admiration, elle partit, accompagnée par divers lords qui étaient là, entre autres lord George Berkeley, le comte de Carlisle et un très joli jeune homme, le duc de Somerset. » Ce fut John Evelyn qui eut l’honneur de lui servir d’introducteur. « 30 mai. A Londres pour accompagner la duchesse de Newcastle (qui a d’énormes prétentions à la poésie et à la philosophie et a publié divers livres dans ces deux genres) à la Société royale. Elle y est venue en grande pompe, et a été reçue par notre lord président à la porte de la salle de nos séances, la masse portée devant elle, et diverses expériences lui ont été montrées, puis j’ai conduit sa grâce à son carrosse et suis rentré. »

Ce fut son dernier grand jour d’exhibition mondaine. Elle mourut sept ans après, en 1674. A Westminster, où elle repose près de son gracieux époux, au-dessous de la statue funèbre qui la représente un livre à la main, on lit cette épitaphe, qui aurait pu être composée par elle-même, tant elle porte la marque de son style habituel :

« Ici gît le loyal duc de Newcastle, et la duchesse, sa seconde femme de laquelle il n’a pas eu d’enfans : son nom était Marguerite Lucas, la plus jeune sœur de lord Lucas de Colchester, une noble famille, car tous les frères lurent vaillans et toutes les sœurs vertueuses. La duchesse fut une sage, spirituelle et savante femme, comme en témoignent ses nombreux livres ; elle fut une épouse très vertueuse, aimante et attentionnée, resta avec son mari tout le temps de son exil et de ses misères, et, lorsqu’il revint à ses foyers, ne se sépara jamais de lui dans sa retraite solitaire. »


EMILE MONTEGUT.

  1. Probablement la fille d’un musicien de ce nom qui était au nombre des amis de Ben-Jonson.