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le Cantatrice villane, représenté à Paris avant la fin de l’empire ; un autre compositeur dramatique, Portogallo, enfin un savant contre-pointiste, le père Mattei, de qui Rossini s’honorait d’avoir reçu les leçons. À ces trois noms, un académicien qui avait apparemment voyagé en Allemagne ou plutôt en Autriche, proposa d’ajouter celui de « monsieur Beethoven. » L’Académie agréa la proposition de confiance ; mais, l’heure du scrutin une fois venue, le père Mattei n’en fut pas moins élu presque tout d’une voix. Certes, la préférence accordée à celui-ci a de quoi nous faire sourire, maintenant que les incomparables productions de son compétiteur nous sont devenues familières ; personne pourtant n’aurait le droit de s’en scandaliser. A l’époque où ce semblant d’iniquité était commis, aucun des chefs-d’œuvre du Michel-Ange de la musique n’était connu en France ; il fallait encore que plusieurs années s’écoulassent avant qu’ils nous fussent révélés par la Société des concerts du Conservatoire. Si au lieu d’être exécutées pour la première fois à Paris au mois de mars 1828, c’est-à-dire un an après la mort du maître, les Symphonies de Beethoven eussent, de son vivant, trouvé chez nous la publicité que recevaient à la même époque les opéras de Rossini, nul doute que l’Académie n’eût été unanime pour ouvrir ses rangs à l’homme de génie qui les avait écrites, comme, dans un tout autre ordre d’art, elle s’était hâtée de consacrer par ses suffrages la gloire de l’auteur du Barbier de Séville. On serait donc bien mal venu à s’indigner, à s’étonner même de la froideur que rencontra la candidature de Beethoven à l’heure où elle se produisit. Ce qui, quelques mois plus tard, eût été de la part de l’Académie un aveuglement sans excuse n’était alors qu’une méprise tout involontaire, la simple conséquence de l’impossibilité pour elle d’apprécier des titres qui n’apparaissaient qu’à distance, et, en quelque sorte, hors de portée.

Quant aux membres de l’Académie, qui, au commencement du règne de Charles X, personnifiaient avec le plus d’éclat les progrès de l’art français accomplis dans le cours des années précédentes, ils confirmaient chacun la réputation acquise par l’importance de leurs nouveaux ouvrages et faisaient ainsi justice, comme leurs successeurs continuent de le faire aujourd’hui, de ces plaisanteries traditionnelles sur l’engourdissement fatal où tombe quiconque s’assied dans le fauteuil académique[1]. Gros venait d’achever ses vastes

  1. L’usage a consacré ce mot ; mais, soit dit en passant, sans qu’il se trouve justifié en fait. Les prétendus fauteuils réservés aux membres des diverses classes de l’Institut sont, en réalité, de simples chaises, renouvelées de celles dont s’étaient contentés à l’origine les membres de l’Académie fondée par Richelieu. Vers la fin du règne de Louis XIV, il est vrai, en 1713, l’Académie française, qui tenait alors ses séances au Louvre, reçut du roi le don de « quarante fauteuils, » soit, tout uniment, comme l’écrivait un contemporain, pour « les plus grands aises » de la compagnie, soit, comme le rapporte d’Alembert, pour consacrer matériellement l’égalité entre les académiciens et condamner ainsi les prétentions de certains prélats qui s’étaient crus en droit de réclamer des sièges où ils pussent trôner à part et au-dessus de leurs confrères. Toujours est-il que, de nos jours, les « fauteuils du palais Mazarin » ne sont plus qu’une forme de langage, un pur symbole de la dignité académique.