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sauvegarder, il répondit avec autant de bon goût que de bon sens : « Que voulez-vous que j’y fasse, messieurs ? Je n’ai, comme chacun de vous, que ma place au parterre. » Il n’y avait donc plus pour les réclamans et pour ceux qu’ils représentaient qu’à continuer la guerre à leurs propres risques, faute de ces lettres de cachet au moyen desquelles ils avaient rêvé de se débarrasser commodément de l’ennemi.

D’ailleurs, le « vandalisme romantique » ne tendait pas seulement à envahir le théâtre ; ses ravages, — et même c’était par là qu’ils avaient commencé, — ne désolaient pas moins douloureusement, aux yeux des classiques, le champ de la poésie proprement dite. Aussi la nécessité semblait-elle urgente de porter de ce côté des efforts tout spéciaux de résistance, c’est-à-dire des efforts tentés par ceux que, en raison de leurs antécédens, on jugeait, ou qui se jugeaient eux-mêmes, les plus autorisés pour cela. Si les succès passés de Germanicus, de Sylla, et de quelques autres tragédies taillées sur le vieux patron consacré, avaient paru à MM. Arnault et de Jouy les qualifier suffisamment pour le rôle qu’ils s’étaient attribué de vengeurs de la saine littérature dramatique, n’était-il pas tout naturel qu’un autre académicien, poète lyrique du même temps et de la même école, M. Baour-Lormian, se crût de la meilleure foi du monde dans l’obligation de prendre à partie le poète des Odes et Ballades et des Orientales, et de le condamner, lui et les siens, au nom d’Erato et de Calliope, comme d’autres intraitables nourrissons des Muses condamnaient, au nom de Thalie et de Melpomène, les modernes réformateurs de la comédie et du drame ? La satire en vers publiée sous ce titre : le Canon d’alarme, n’était pas, il est vrai, de nature à servir fort utilement la cause chère à l’auteur et à ses amis, ni à jeter beaucoup d’effroi dans le camp des séditieux : toujours est-il que ce petit écrit, si suranné dans le fond et dans les formes qu’il puisse nous paraître aujourd’hui, montre aussi bien que les pamphlets romantiques, à quel degré d’intolérance, on dirait presque de fureur, on était arrivé de part et d’autre, et, — pour parler la langue des coreligionnaires de M. Baour-Lormian, — quelle Némésis littéraire agitait jusqu’aux esprits naguère les plus calmes et, d’habitude, les plus inoffensifs.

Nous sommes loin maintenant de ces controverses enfiévrées et de ces luttes : si loin même, que la plupart d’entre nous en ont à peu près perdu le souvenir ou n’en gardent plus qu’un souvenir désintéressé. Chacun sans doute honore comme il convient les noms et les talens qui ont mérité de survivre à l’époque troublée dont nous venons d’essayer en quelques mots de résumer l’histoire ; mais qui serait tenté aujourd’hui de reprendre à son compte