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avant l’annexion, ils en avaient un, notaire, avoué ou avocat, praticien du voisinage ou du chef-lieu, qui, ayant cinq ou six communes pour clientes-, les visitait tour à tour, leur fournissait le secours de son savoir et de son intelligence, assistait à leurs délibérations, et, de plus, leur prêtait sa main, pour écrire, comme le secrétaire actuel de la mairie, à peu près au même prix, avec le même chiffre total d’honoraires ou appointemens[1]. — Présentement, il n’y a plus personne au conseil municipal pour avertir et renseigner les conseillers ; leur secrétaire, qui est le maître d’école, ne peut et ne doit être qu’un scribe. D’une voix monotone, il leur fit la longue énigme financière que la comptabilité française, trop parfaite, propose à leurs divinations, et que nul, sauf un homme instruit, après plusieurs semaines d’étude, n’est capable de bien comprendre. Ils écoutent, ahuris ; quelques-uns, ajustant leurs besicles, tâchent de découvrir, parmi. tant d’articles, l’article essentiel, le chiffre des contributions qu’il leur faudra payer. Le chiffre est trop gros, les contributions sont excessives, il est urgent de réduire le nombre des centimes additionnels, partant de dépenser moins. C’est pourquoi, s’il est quelque dépense à laquelle ils puissent se dérober par un refus, ils s’y dérobent et disent non, au moins provisoirement, jusqu’à ce qu’une nouvelle loi ou décret d’en haut les oblige à dire oui. Mais, dès à présent, presque toutes les dépenses marquées sur le papier sont obligatoires ; bon gré mal gré il faut les acquitter, et, pour les acquitter, nulle ressource hors les centimes additionnels ; si nombreux qu’ils soient, force est de les voter, de souscrire aux centimes inscrits. Ils signent donc, non de confiance, mais avec méfiance, avec résignation, par nécessité pure. Abandonnés à leur ignorance native, les vingt-sept mille petits conseils municipaux de la campagne sont maintenant plus passifs, plus inertes et plus contraints que jamais, privés des lumières que jadis le choix du préfet ou le suffrage restreint pouvait encore introduire dans leurs ténèbres, il ne leur reste qu’un tuteur ou conducteur effectif ; et ce dernier guide est le personnel des bureaux à la préfecture, en particulier tel chef ou sous-chef de

  1. Sur le régime communal en France et sur les réformes, que, d’après l’exemple des autres nations, on pourrait y introduire, cf. Joseph Ferrand (ancien préfet), les Institutions administratives en France et à l’étranger ; Rudolf Gneist, les Réformes administratives en Prusse accomplies par la législation de 1872 (notamment l’institution de l’Amts-vorsteher pour les unions de communes ou circonscriptions d’environ 1,500 âmes) ; duc de Broglie. Vues sur le gouvernement de la France (notamment sur les réformes à opérer dans l’administration de la commune et du. canton), p. 21. — « Retirez aux magistrats communaux la qualité d’agens du gouvernement : séparée les deux ordres de fonctions ; placez au chef-lieu du canton le fonctionnaire public chargé de tenir la main, dans l’intérieur des communes, à l’exécution des lois générales et des décisions de l’autorité supérieure. »