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reste à Salvien, pour achever sa démonstration, à célébrer les vertus des barbares. Il s’en est acquitté en conscience, comme de la première partie de sa tâche. Les barbares, nous dit-il, sont ou païens ou hérétiques. Des païens, naturellement, il y a moins de bien à dire que des autres. En général, les Romains les accusent de toutes sortes de vices, mais ils ont grand tort de les leur reprocher, car ils ne valent pas mieux. « Les barbares sont injustes, nous le sommes aussi[1]. Ils sont avides, trompeurs, impudiques ; ne le sommes-nous pas comme eux ? ce sont des hommes à commettre toute sorte de vols ou de débauches ; et nous, ne les commettons-nous pas aussi ? Ce qui atténue leurs fautes, c’est qu’ils ne sont pas chrétiens. Nous, qui connaissons la vérité, qui devrions pratiquer la loi divine, nous sommes inexcusables de nous mal conduire, et il n’est pas surprenant que nous en soyons plus sévèrement châtiés. »

Les autres barbares sont ariens ; d’abord ce n’est pas leur faute. Ils le sont devenus sans le savoir. Ignorans, illettrés, incapables de discerner la vérité de l’erreur, ils ont suivi les premiers qui leur ont parlé du Christ. Il est vraisemblable que Dieu leur pardonnera de se tromper, parce qu’ils se trompent de bonne foi. En attendant qu’ils reviennent à la vraie doctrine, ces hérétiques sincères se conduisent mieux que beaucoup de ceux qui se glorifient d’être catholiques. Les barbares, quand ils sont du même pays et qu’ils obéissent au même chef, se soutiennent les uns les autres ; les Romains, au contraire, ne peuvent se supporter mutuellement, et plus ils sont voisins, plus ils cherchent à se nuire. Les barbares ne sont pas atteints de la folie des jeux publics ; on ne les verrait pas, comme les habitans de Rome ou de Trêves, se consoler de la ruine de leur patrie en assistant à des courses de char. Surtout ils sont chastes ; c’est une honte chez les Goths d’être un débauché ; chez les Romains, c’est un honneur. Le premier soin de Genseric, quand il eut pris Carthage, fut de fermer les lieux infâmes, qui se trouvaient à tous les coins de rue, et d’éloigner ou de marier les courtisanes, et c’est à un barbare que la ville de saint Augustin doit d’avoir été purifiée. Aussi sont-ils victorieux ; comme ils implorent Dieu à la veille de la bataille, ils ont le lendemain à le remercier de la victoire. « Voilà pourquoi tous les jours ils grandissent, tandis que nous baissons ; ils gagnent, et nous perdons ; ils fleurissent, et nous nous desséchons. » Du reste, ils n’ignorent pas d’où viennent leurs succès, ils sont les premiers à dire qu’il ne faut pas tout à fait leur attribuer leurs grandes actions, qu’ils sentent

  1. Injusti sunt barbari, et nos hoc sumus. Nous le somme ? . On voit que, dans ce latin, le français commence.