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tendre, parce que je ne saute pas au cou de tout le monde. Je vous prie, demandez à Sapho qui se connaît si bien en tendresse, si c’est une marque de tendresse que de faire des caresses parce que l’on en fait naturellement à tout le monde, et si un mot de douceur d’une ritrosa beltà ne doit pas toucher davantage et persuader plus son amitié que mille discours obligeans d’une personne qui en fait à tout le monde. Je vous soutiens que, quand je vous ai dit que j’ai bien de l’amitié pour vous et que je suis plus aise de vous avoir comme ami que qui que ce soit au monde, vous devez être satisfait de moi. »

Ménage, on le voit, se plaignait de ce que son écolière n’était pas assez tendre. Parfois il en concevait du dépit, et il s’en allait lâché. Il fallait alors lui écrire le lendemain matin pour s’assurer que cette colère était tombée et pour lui demander de revenir.

« Je ne compte point sur la colère où vous étiez hier, car je ne doute point qu’après avoir dormi dessus elle ne soit diminuée, et pour vous montrer que je ne suis point du tout fâchée contre vous, c’est que je vous prie de m’envoyer un Virgile de M. Villeloin et de me venir voir vendredi. »

Quand Ménage n’était pas en colère, il tournait des billets galans et demandait des rendez-vous. Tout abbé qu’il était, il lui importait peu qu’on fût à la veille de Pâques, mais Marie de La Vergne le lui faisait finement sentir :

« Il n’y a rien de plus galant que votre billet. Si la pensée de faire votre examen de conscience vous inspire de telles choses, je doute que la contrition soit forte. Je vous assure que je fais tout le cas de votre amitié qu’elle mérite qu’on en fasse et je crois tout dire en disant cela. Adieu jusqu’à tantôt. Je ne vous promets qu’une heure de conversation, car il faut retrancher de ses divertissemens ces jours-ci. »

Et quelques jours après :

« Vos lettres sont bien galantes. Savez-vous bien que vous y parlez de victimes et de… Ces mots-là font peur à nous autres qui sortons si fraîchement de la semaine sainte. » Parfois au contraire Ménage boudait et se tenait à l’écart. Il fallait alors l’aller chercher et le ramener par de douces paroles.

« Je ne vous puis assez dire la joie que j’ai que vous ayez reçu avec plaisir les assurances que je vous ai données de mon amitié. Je mourais de peur que vous ne les reçussiez avec une certaine froideur que je vous ai vue quelquefois pour des choses que je vous ai dites et il n’y a rien de plus rude que de voir prendre avec cette froideur-là des témoignages d’amitié que l’on donne sincèrement et du meilleur de son cœur. Vous aurez pu voir par ma