Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à quel point méritaient-ils les reproches d’intolérance et de partialité préconçue qu’on leur adressait si bruyamment ? C’est ce qu’il convient de rechercher ici et d’examiner avec sang-froid, à la distance où nous sommes des hommes et des faits en cause.

Et d’abord, était-on bien venu en principe à récuser des juges qui, par leur longue expérience, par l’importance exceptionnelle de leurs travaux et de leurs succès passés, par leur situation officielle, la plus haute dans le domaine de l’art qui se pût conquérir, offraient certes plus de garanties d’indépendance que des artistes qui auraient eu encore des ambitions à satisfaire, des intérêts personnels à soutenir ? D’un autre côté, ces juges une fois investis, était-on en droit d’exiger d’eux qu’ils acceptassent indifféremment ce qui pouvait à leurs yeux élever ou abaisser le niveau de l’art contemporain, ou tout au moins celui des œuvres qu’il s’agissait de donner en spectacle au public ? Qu’on leur demandât de reconnaître le mérite sous toutes ses formes, le talent à tous ses degrés, rien de plus naturel ni de plus juste : pourvu toutefois que ces témoignages de talent ne se réduisissent pas à de simples indices et que ce mérite ne consistât pas uniquement dans les intentions. Les salons, tels que l’Académie et le public lui-même les comprenaient il y a un demi-siècle, ne devaient pas être accessibles à la fois aux maîtres et aux apprentis ; il ne suffisait pas, pour constituer des droits à une place à côté des tableaux ou des sculptures signées de noms justement estimés, qu’il y eût quelques qualités dans une pochade ou des lueurs d’originalité dans l’esquisse d’un bas-relief.

Or, quoi qu’on en ait dit, parmi les œuvres refusées par le jury académique, celles qui se distinguaient des ouvrages absolument plats n’étaient le plus souvent qu’à l’état d’esquisses ou d’ébauches, souvent aussi à l’état de purs sophismes pittoresques. Si Théodore Rousseau à ses débuts, si Diaz, si Delacroix lui-même, — que d’ailleurs il eût été plus politique peut-être de laisser se montrer au public dans ses mauvais jours, au lieu de le dérober à cette périlleuse épreuve par une mesure qui le transformait en victime, — si quelques autres peintres encore, plus ou moins renommés aujourd’hui, ont eu parfois à subir les rigueurs du jury, est-il bien sûr que ces rigueurs fussent injustes, à ne tenir compte que de la valeur intrinsèque des œuvres écartées, et non de la notoriété déjà acquise ou de la notoriété prochaine de ceux qui les avaient faites ?

En admettant même que quelques arrêts fâcheux aient été rendus, que l’exclusion de certaines toiles ait dû paraître aussi inexplicable que l’admission de certaines autres, où trouver la preuve que ces erreurs aient été commises volontairement ? Ne saurait-on