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sentimens nouveaux est possible par un moyen tout physiologique, elle doit être possible également par les moyens psychologiques et moraux. De là cette importante conséquence que « les études récentes sur le système nerveux sont propres à corriger les préjugés nés de la science contre la force de l’éducation par une science plus complète. » La suggestion, qui crée des instincts artificiels capables de faire équilibre aux instincts héréditaires, constitue une puissance nouvelle comparable à l’hérédité ; or l’éducation, dit M. Guyau, « est un ensemble de suggestions coordonnées et raisonnées, et l’on comprend dès lors l’importance, l’efficacité qu’elle peut acquérir au point de vue à la fois psychologique et physiologique. »

A nos yeux, la suggestion n’est qu’un cas particulier de la loi plus fondamentale des idées-forces, loi qui domine toute la science pédagogique et à laquelle l’auteur d’Éducation et Hérédité a lui-même fourni, dans plusieurs chapitres, de très importantes « contributions[1]. »

On dédaigne parfois les idées, on croit qu’elles n’ont guère d’influence sur la conduite. Les philosophes du XVIIe siècle, avec Descartes et Pascal, considéraient au contraire les sentimens et passions comme des pensées confuses, comme des « précipitations de pensées. » Et cela est vrai. Sous tous nos sentimens, il y a un ensemble d’idées mal analysées, un flot de raisons pressées et confuses dont la masse nous soulève et nous entraîne. Inversement, sous toutes nos idées, il y a des sentimens : ils couvent sous la cendre refroidie des abstractions. Le mot même a une force, parce qu’il suscite tous les sentimens qu’il résume ; honneur, devoir, ces simples mots retentissent en échos infinis dans les consciences. Au seul mot d’honneur, toute une légion d’images est prête à surgir : vous entrevoyez vaguement, comme des yeux ouverts dans l’ombre, tous les témoins possibles de votre acte, depuis votre père et votre mère jusqu’à vos amis et tous vos compatriotes ; bien plus, si votre imagination est vive, vous entrevoyez tous vos grands devanciers qui, en des circonstances semblables, n’ont pas hésité. — Il le faut, allons. — C’est une armée d’hommes courageux où vous vous sentez enrôlé vous-même : c’est la race entière dans ses représentai les plus héroïques qui vous pousse en avant. Il y a un élément social et même historique au fond des idées morales. Le mot, d’ailleurs, produit social, est aussi une force sociale. L’âme religieuse va plus loin encore : le devoir, pour elle, se personnifie en un être qui est le bien vivant et dont elle entend la voix.

On parle des formules mortes ; il y en a bien peu. L’idée et le

  1. Voir Éducation et Hérédité, p. 217 et suiv.