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a une autre loi contre laquelle l’institution de la noblesse vient échouer : c’est « l’affaiblissement de l’hérédité. » Toutes les aristocraties, tous les corps fermés, en ne se réparant que chez eux, ont éprouvé une extinction graduelle. L’eau qui n’est point renouvelée se corrompt ; seul un océan contient en son sein assez de flots, assez de mouvement et de vie.

M. Ribot a déterminé les causes de cet affaiblissement physique et mental en montrant que l’hérédité est une force sans cesse en lutte contre des forces contraires, qu’elle a son struggle for life et qu’à chaque génération, alors même qu’elle reste victorieuse, elle ne sort de la lutte que bien affaiblie par ses pertes. Il en résulte qu’au lieu d’une sélection de supériorités, elle produit à la longue, si elle est isolée, une sélection d’infériorités. Seule l’éducation contrebalance, dans une mesure insuffisante, ces effets de l’hérédité.

Puisque la noblesse héréditaire n’est plus possible de nos jours et que, d’ailleurs, elle a perdu tous ses avantages, il faut chercher d’autres procédés de sélection pour constituer cette aristocratie naturelle dont on s’accorde à reconnaître la nécessité, — aristocratie ouverte et non fermée, fondée sur le talent et le mérite et qu’on pourrait, en conséquence, appeler une aristocratie démocratique.

La nature, pour opérer ses sélections, agit sur le plus grand nombre possible d’individus ; c’est là un premier procédé qu’il est bon d’imiter, mais qui ne peut être imité que dans une certaine mesure, car la nature est aveugle et l’homme est intelligent. Il est impossible de donner à tous également une instruction aussi complète que la rêvent les partisans de « l’instruction intégrale. » Il y a antinomie entre la loi de sélection des capacités et leur loi d’adaptation. Si le champ offert à la sélection n’est pas assez vaste, elle ne s’opère point ; s’il est trop vaste, on aboutit à développer des capacités ou des prétentions qui ne trouvent plus leur usage, leur adaptation finale. Les déclassés s’en prennent alors à l’état lui-même et l’accusent de ne pas leur fournir l’emploi des capacités vraies ou prétendues que l’éducation a développées chez eux. Mais autre chose est l’acquisition des connaissances, autre chose est la culture des facultés morales et intellectuelles. La première, si elle est intempérante et sans rapport avec le milieu où l’enfant doit vivre, aboutit à faire des déclassés ; mais ce qu’on peut toujours répandre à profusion et avec profit chez tous, ce sont les grandes idées et les sentimens de l’ordre moral. Les qualités morales : courage, justice, bonté, dévouement, sont également nécessaires dans toutes les conditions, et, de plus, elles constituent, avec la vigueur physique, la principale force de l’espèce ; il faut donc les