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ne prononçaient pas Dôid, mais David, qu’ils écrivaient souvent Dauid. Je remarquerai à ce propos que dans notre ancienne orthographe l’u et le v étaient continuellement employés l’un pour l’autre ; j’ai souvenir qu’au temps du collège nous voyions dans la rue Mazarine une enseigne qui nous égayait fort : Av petit Mavre, c’est-à-dire : Au petit nègre. Si nous écrivions v pour u et si le tout se prononçait ô, peut-on trouver mauvais que, n’ayant qu’un alphabet incomplet, les Grecs aient écrit u et prononcé v ? Ce fut l’orthographe définitive depuis la réforme de 403. Il faut pourtant observer que l’autorité d’Athènes, surtout en ces matières, n’était que consultante et que ses décisions n’étaient pas obligatoires : les divergences d’orthographe diminuèrent beaucoup après la réforme, mais ne disparurent tout à fait qu’avec le temps.

Nous ne pouvons pas faire ici l’histoire détaillée de l’écriture grecque dans ses rapports avec la parole. Disons seulement que, l’une n’ayant jamais répondu à l’autre d’une façon exacte et complète, c’est se payer de chimères que de voir dans toutes les lettres des signes représentant autant de sonorités distinctes et séparées : car il est évident que des groupes de deux voyelles figuraient souvent un son unique et simple, comme en français. Les documens relatifs à ces questions sont réunis dans le livre de M. Papa-Dimitrakopoulos et forment une série de démonstrations que nous tenons pour irrésistibles. Pour que le lecteur ne garde pas de doute sur ce point, je citerai quelques faits relatifs à la syllabe ei et il verra que le son d’i, surtout d’i long, qu’on lui donne en Grèce, est justifié par une tradition non interrompue ; cette syllabe s’y confond avec le son de l’y, c’est-à-dire de l’hypsilon ou de l’ê, que nous prononçons êta et les Grecs ita. Dans le discours de Panurge on trouve tinyn que nos lycéens écriraient toïnun, anankeî qu’ils prononceraient anankaïoï, et plusieurs autres mots. L’église chante le Trisagion en grec et en latin au moins depuis l’année 492 ; on y trouve ischyros pour ischuros, élêison pour élêêson. Le Kyrie offre les mêmes lettres prononcées de la même manière depuis le IIe siècle de notre ère. Un ami de Cicéron, au Ier siècle avant Jésus-Christ, reproche aux Grecs d’écrire le son de ei en deux lettres au lieu d’une seule. Quel est ce son ? Callimaque nous le dit en racontant qu’un amoureux, Lysanias, s’écrie : Naikki kalos, kalos naikhi et l’écho lui répond : Allos ékhei ; ainsi donc ai se prononçait comme é, ei comme i ; Callimaque est du IVe et du IIIe siècle avant notre ère. — J’ai déjà cité les Septante qui, dans leur traduction de la Bible en langue grecque, figurent souvent par ei le son i des mots hébreux ; ils écrivent Opheir pour Ophir, Chéroubeim pour Chéroubim, Beniamein pour Beniamin, mot que nous prononçons en français Benjamin. — La belle Thaïs, qui fut la maîtresse