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Saint-Pierre, plus bas Titien expliquant à un écolier la beauté de deux femmes nues, l’une debout, l’autre assise, qui posent devant eux ; Paul Véronèse monté sur un échafaudage devant une grande toile ; plus bas, le vieux Léonard de Vinci s’entretenant sur les degrés avec le jeune Raphaël et, dans le coin opposé à l’écart, le taciturne Michel-Ange, accoudé sur une balustrade, auprès d’un seul ami, Vasari sans doute, méditant, le front sur la main, dans l’attitude d’un prophète de la Sixtine. On pourrait désirer, dans la Gloire, plus de distinction et d’élégance, dans les modèles du Titien, plus de souplesse et d’éclat, dans les personnages en général, plus de vivacité et de chaleur ; c’est une Renaissance un peu pesante et attristée. Pour la mettre au point, il suffirait de peu de chose. En tout cas, c’est un spectacle rassurant de voir M. Munkacsy se débarrasser si résolument des noirceurs et des lourdeurs qui chargeaient naguère sa palette. Il est probable que cette nouvelle expérience de sa virtuosité singulière ne lui sera pas inutile. On en peut voir, à quelques pas, la preuve dans son Portrait de la Princesse S.., en pied, dans son intérieur, entourée de plantes et de bibelots. La peinture est plus légère et plus souple que d’habitude, moins plaquée aussi et moins tournée à ces tons jaunes et roussis, souvenirs des vieux tableaux altérés par les vernis et les crasses, dont les artistes de l’Est ont grand’peine à se délivrer. En face du plafond de M. Munkacsy un plafond de M. Henry Lévy, destiné à l’Hôtel de Ville, nous montre la Ville de Paris offrant à la Liberté triomphante les corps de ses enfans tués pour elle. M. Lévy n’a pas abusé des cadavres qui gisent, au premier plan, sur les débris fumans des barricades. Tout l’intérêt de sa composition est dans la figure élancée de sa Ville de Paris qui se dresse vivement vers le ciel lumineux et dans la combinaison harmonieuse des colorations souples et choisies. C’est habile et agréable.

M. Jules Lefebvre était-il obligé de donner à son tableau de Lady Godiva ces proportions gigantesques ? Le sujet, il est vrai, est tentant pour un peintre, bien qu’il demande trop d’explications préliminaires. Lady Godiva était la femme, douce et chaste, d’un rude seigneur de Coventry, impitoyable à ses sujets qu’il écrasait d’impôts. Un jour qu’elle intercédait pour eux : « Par Dieu ! s’écria le comte Lœfric, je ne lèverai aucun impôt que vous ne soyez allée chevaucher, nue comme l’enfant, à travers la ville. » Lady Godiva accepta le marché. Tous les habitans s’enfermèrent aussitôt chez eux, fermant portes et volets, par respect pour la sainte femme, disent les uns, par ordre du comte, disent les autres. Pour exprimer la grande solitude de cette ville déserte et muette, M. Lefebvre a fait monter, au-dessus de la cavalière, les hautes maisons d’une rue