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blié, de Pacifico, qui, après avoir eu sa maison saccagée dans un moment d’émotion populaire, avait singulièrement grossi la note de ses réclamations. C’était tout au plus une affaire de banale indemnité ; mais Pacifico n’était rien. Lord Palmerston tenait visiblement à saisir l’occasion de frapper un grand coup, et pour le plus vulgaire des griefs, il signifiait à la Grèce un brutal ultimatum, en l’appuyant d’une menaçante démonstration navale. Il ne craignait pas d’envoyer une escadre pour bloquer les côtes et ruiner le commerce hellénique, au risque d’épuiser le petit royaume, de provoquer des agitations intérieures, de mettre en péril la royauté d’Othon déjà assez fragile, destinée à périr quelques années plus tard. Lord Palmerston avait d’ailleurs, pour servir sa politique à Athènes, un agent, sir Edmund Lyons, adversaire passionné de l’influence française, ardent à aggraver les rigueurs de son chef. C’est au milieu de cette crise que M. Thouvenel, qui était depuis quelques années déjà comme secrétaire à Athènes et dont la révolution de 1848 venait de faire un jeune ministre de France, avait à se mouvoir. Du premier coup il se révélait diplomate de premier ordre, alliant la prudence à la hardiesse, soutenant le gouvernement hellénique et le roi Othon dans une épreuve qui pouvait être mortelle, contenant ou déjouant sans le blesser son fougueux collègue britannique, relevant par sa fermeté modératrice le crédit et le rôle de la France. Il n’avait été jusque-là qu’un jeune agent à l’esprit ouvert, qui avait eu le temps de se familiariser avec le pays où il vivait ; il était désormais l’homme que nous avons connu, qui venait de se désigner pour les plus hautes missions de la diplomatie ; son début dans les grandes affaires avait été un coup de maître !

Ces lettres intimes recueillies aujourd’hui et adressées autrefois, pendant un long séjour, à des amis, au prudent M. Desages, le premier des directeurs aux affaires étrangères, ces lettres de M. Thouvenel ont le double intérêt de faire revivre un épisode déjà lointain et de révéler un observateur instruit, à l’esprit pénétrant et juste. Le sentiment du pittoresque s’y mêle à la sagacité d’un politique réfléchi et avisé. Elles sont écrites sans illusion de philhellénisme et sans dénigrement à l’égard d’un peuple à peine émancipé. Elles ouvrent même parfois des jours piquans sur la vie et les mœurs démocratiques des Grecs. Près d’un demi-siècle est passé. L’auteur de ces pages aimables, M. Thouvenel, est mort. Le roi Othon lui-même a disparu de la scène. La Grèce a-t-elle donc tellement changé depuis ces anciennes crises où elle trouvait dans un Français un si prudent conseiller ?

Ch. de Mazade.