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devait sortir la tige de l’arbre religieux de l’humanité ; ce n’étaient que des germes. Les réformes d’Ézéchias et de Josias, les livres qui en résultèrent, le terrible fanatisme de Jérémie, la captivité, le retour, furent le nœud qui lia tout cela en un faisceau désormais impossible à briser. Le royaume d’Israël une fois disparu, sa religion disparut avec lui ; le royaume de Juda disparaîtra, mais sa religion lui survivra. Le judaïsme, de religion locale, deviendra une religion sans lien avec un pays déterminé, susceptible d’être pratiquée dans tous les pays, embrassée par les races les plus diverses.

Deux grands hommes, Ézéchias et Isaïe, sont à l’origine de ce mouvement extraordinaire, qui a décidé du sort de l’humanité. Les circonstances y aidèrent puissamment. Les trois années que dura le siège de Samarie et les temps qui suivirent furent pour Jérusalem un temps de fièvre ardente. À chaque moment, on croyait voir se détourner sur la Judée le fléau qui broyait Ephraïm. Une sorte de patriotisme empêcha Isaïe et Michée de pousser trop hautement des cris de triomphe à la prise de Samarie ; mais, en fait, la victoire du iahvéisme était complète. Les prédictions des prophètes de Jérusalem s’étaient réalisées. Le royaume d’Ephraïm était tombé victime de son infidélité à Iahvé. Seule, en Syrie, Jérusalem avait été épargnée. Quoi de plus clair ? Il était admis que les Assyriens étaient le fléau avec lequel Iahvé battait les peuples. Cette immunité de Jérusalem ne pouvait être que l’effet d’une protection divine. Une belle surate d’Isaïe[1], qui paraît se rapporter à ce temps, contient la théorie complète de la Providence selon les prophètes, théorie qui est restée l’universelle philosophie de l’histoire jusqu’à Bossuet.

Dieu gouverne le monde par le châtiment. Pour châtier, il a besoin d’instrumens ; mais ces instrumens ne connaissent pas la main qui se sert d’eux ; ils s’imaginent faire eux-mêmes ce que Dieu leur fait faire. « C’est par ma propre force, se dit Assur, que j’ai fait tout cela ; c’est par ma sagesse et mon intelligence que j’ai changé les frontières des peuples, pillé les trésors, renversé les rois, broyé les peuples. » Quelle folie !

La cognée s’élève-t-elle contre celui qui la brandit ?
La scie fait-elle la glorieuse contre celui qui la manie ?
C’est comme si le bâton voulait diriger la main qui le lève,
Comme si la verge prétendait mouvoir le bras qui la tient.

L’orgueil d’Assur sera puni. Sa politique est d’exterminer les peuples les uns après les autres. Calno et Karkemis, Hamat et

  1. Isaïe, depuis X, 5, jusqu’à la fin de XII.