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mais en enfermant d’avance son action dans des conditions qui rendaient vraiment la démarche dérisoire et le succès impossible. Il voulait qu’on prît pour point de départ les articles convenus au printemps précédent avec les Hollandais, et qui portaient en première ligne, on peut s’en souvenir, la cession du grand-duché de Toscane à l’infant. Dans l’état si gravement empiré des affaires d’Italie, c’était aller au-devant d’un refus certain. Mais ce n’était rien encore ; il ajoutait que le nouvel arrangement devrait prendre pour bases les répartitions de territoire faites par les traités de Worms et de Dresde, ce qui mettrait ainsi non-seulement les dernières concessions faites à la Sardaigne, mais les conquêtes de la Prusse sous la garantie expresse de la France. Demander à Marie-Thérèse, qui ne pouvait avoir d’autre pensée, en se rapprochant de Louis XV, que de le brouiller avec Frédéric, de commencer par établir une solidarité plus étroite que jamais entre ses ennemis de la veille, c’était vraiment se moquer, et Loos dut avoir quelque peine à garder son sérieux. Mais l’essentiel était d’obtenir que Richelieu lût chargé d’un mandat général, dont on se réservait ensuite de lui faire élargir les termes. Ce point, en définitive, fut obtenu, et le duc put partir, emportant l’acceptation expresse des bons offices d’Auguste III, et comprenant à demi-mot que si, de la part de d’Argenson, cette commission n’était qu’une vaine formalité, elle était prise beaucoup plus au sérieux par des personnages plus puissans qu’un ministre discrédité : assuré, d’ailleurs, qu’une fois mis en règle avec les égards qu’il devait à l’amitié, il était en liberté d’agir dans la mesure que son intérêt lui commanderait[1].

Effectivement, il avait beau emporter, dans ses instructions officielles, l’ordre de tâcher de rompre le charme fatal qui attachait Auguste à son ministre, il n’était pas arrivé depuis vingt-quatre heures et avait eu à peine le temps d’être présenté à la princesse dont il allait devenir l’époux par procuration que déjà il était mis avec Brühl sur le pied d’une confidence intime. Du reste, il ne pouvait se tromper sur la nécessité de s’entendre avec ce favori, s’il voulait même être écouté jusqu’au bout dans sa première audience ; car Auguste III avait choisi ce moment même pour donner à Brühl, qui jusque-là n’était que simple secrétaire d’État, la dignité de premier ministre, comme pour bien faire voir que rien ne le déciderait à s’en séparer. Aussi l’accord entre l’ambassadeur extraordinaire et le nouveau premier ministre fut-il tout de suite si complet que, dès le 27 décembre, un courrier partait pour Vienne,

  1. Le comte de Loos au comte de Brühl, 9, 14 décembre 1746. (Archives de Dresde.)