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représentant de la Prusse en 1857, quand la santé du roi l’obligea de remettre l’exercice de la souveraineté au prince royal, qui fut bientôt investi des pouvoirs de régent. Le nouveau règne était imminent. M. de Bismarck ne perdit pas une heure pour prendre position. Il publia une brochure dans laquelle il rendait publiquement hommage aux efforts patriotiques du parlement national de 1848, ne déguisant plus sa conversion. On y lisait notamment : « La Prusse ne doit pas rester plus longtemps avec l’Autriche dans la confédération germanique telle que l’acte fédéral de 1815 et l’acte final de 1820 l’ont formée ; elle n’aurait jamais dû en tolérer la reconstruction en 1850, et son intérêt est d’en provoquer la dissolution. »

Le nouveau gouvernement était à peine constitué quand M. de Bismarck, en novembre 1858, fut envoyé à Pétersbourg en qualité d’ambassadeur. De quelle pensée le prince-régent s’inspirait-il en cette occasion ? L’éloignait-il de Francfort, considérant que sa présence pouvait y devenir un danger pour ses relations avec l’Autriche et sans nulle autre préoccupation ? Assurément, il ne jugeait pas le moment venu d’alarmer le cabinet de Vienne ; il tenait, au contraire, à lui donner un gage de ses dispositions de loyal confédéré ; il désirait que le déplacement du perturbateur des séances de l’assemblée fédérale fût interprété ainsi par le gouvernement autrichien. Mais il avait d’autres vues en l’accréditant auprès d’une cour de famille, auprès de l’empereur Alexandre, dont il importait de captiver les sympathies. Il lui marquait ainsi sa confiance, prévoyant sans doute qu’il aurait, avant peu et plus directement, recours à ses services. Chacun le pressentait à Berlin, à la bienveillance particulière déjà témoignée du futur empereur. S’il n’en avait pas reçu l’assurance, M. de Bismarck en avait lui-même la prévision. Sa correspondance en fait foi.

Quoi qu’il en soit, la mission qu’il remplit en Russie fut pour lui un temps d’exil. Il y apporta ses opinions et n’en renia aucune. Le souvenir de l’attitude de l’Autriche durant la guerre de Crimée entretenait en Russie des ressentimens qui ne sont pas encore totalement éteints à l’heure actuelle : M. de Bismarck y trouva des interlocuteurs sympathiques et disposés à l’écouter. Le prince Gortchakow, devenu chancelier de l’empire, après avoir représenté son souverain auprès de la diète, partageait toutes ses hostilités : il les avait encouragées à Francfort, il ne les combattit pas à Pétersbourg. De son côté, l’ambassadeur du prince-régent s’appliqua à entretenir et surtout à irriter ces dispositions dont il devait, plus tard, tirer de si précieux avantages. Il ne voulait pas, cependant, qu’on l’oubliât à Berlin, et il consacrait ses loisirs à convertir son nouveau ministre des affaires étrangères, le baron de Schleinitz, à