Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/836

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous avons dit ce que fut l’action du roi durant cette crise suprême ; voyons ce que fit le ministre. Les détails ne sont pas ici hors de propos ; il est même indispensable d’indiquer les plus essentiels pour bien éclairer les choses et les faire valoir. Réduit à l’abstention et au silence, M. de Bismarck frémissait à Berlin. Dans l’intimité, il n’avait que des paroles amères pour son maître, il lui reprochait de compromettre, par son attitude et ses concessions, la dignité et les intérêts de l’Allemagne. Il obéissait toutefois, observant une réserve qui lui pesait cruellement. Dès qu’il reçut l’ordre d’agir, que sa liberté d’action lui fut rendue, il entra bruyamment en scène ; et avant que cette journée du 13 fût achevée, il ne restait plus vestige des espérances dont se berçaient encore, la veille, les amis de la paix. C’est surtout en cette occasion que M. de Bismarck donne la mesure de la fertilité de son esprit, de sa puissante activité : il trouve, à l’heure même, plus d’expédiens qu’il n’en fallait pour précipiter une rupture, et il les emploie avec autant de justesse que de rapidité. Il rappelle, par le télégraphe, l’ambassadeur de Prusse accrédité auprès du gouvernement français ; il lui enjoint de quitter Paris dans les vingt-quatre heures, lui reprochant d’avoir écouté sans protester et d’avoir transmis à Ems une proposition qui était un outrage pour le roi. Il ne rompt pas toute relation avec la France : — il veut contraindre à la rupture le gouvernement impérial ; — mais il manifeste son intention bien arrêtée de ne renouer aucune négociation, de ne se prêter à aucune démarche de conciliation, à aucun accord. Au même instant, par une dépêche circulaire, adressée télégraphiquement à tous ses agens diplomatiques, il met tous les gouvernemens dans la confidence des incidens survenus le matin à Ems, les présentant d’une manière inexacte et perfide. L’ambassadeur de France ayant exigé, dit-il, des garanties pour l’avenir après le désistement du prince Léopold, « Sa Majesté refusa de le recevoir encore et lui fit dire, par l’aide-de-camp de service, qu’Elle n’avait plus rien à lui communiquer[1]. »

C’est annoncer à l’Europe, contrairement à la vérité, que le roi a interdit à l’ambassadeur l’accès de sa demeure : nous n’avons pas à insister sur la signification et la portée qu’aurait un pareil traitement infligé à un diplomate revêtu d’une dignité qui le constitue, par une fiction admise de tout temps, le représentant de la personne de son souverain. M. de Bismarck affirme donc simultanément qu’à Paris on a méconnu la dignité du roi, qu’à Ems

  1. L’assertion était de tout point inexacte. L’ambassadeur avait vu le roi et lui avait soumis sa proposition. Le roi l’avait déclinée, mais après l’avoir débattue avec lui.