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exercer, car la vraie morale trouve une protection beaucoup plus efficace dans les mœurs que dans la loi, mais il appartient incontestablement à l’État, et l’État aurait tort de l’abdiquer.

L’État a ensuite, comme personne morale, le devoir de pratiquer la bienfaisance et celui de l’encourager. Il doit la pratiquer, car il y a certaines misères imméritées qu’il est de son devoir de secourir, telles que la maladie, l’infirmité, et, dans certains cas, la vieillesse ; je dis dans certains cas, car la vieillesse est une forme de la misère à laquelle la prévoyance individuelle doit, en principe, pourvoir à l’avance. Il doit aussi encourager la bienfaisance, car la bienfaisance est un office privé par excellence dont les particuliers s’acquitteront toujours mieux que l’État. Or quelle est la façon dont l’État s’acquitte de ce double devoir ? En France, le service de l’assistance publique est encore à l’état rudimentaire. Dans certaines grandes villes, comme à Paris, elle est richement dotée, quoique mal administrée. Dans les autres, elle est pauvre et insuffisante. Enfin, dans les campagnes, elle n’existe pas. Le premier devoir de l’État serait d’organiser par une loi l’assistance publique, en fixant ses attributions et en lui assurant des ressources permanentes. Quant à la bienfaisance privée, non-seulement l’État n’a point souci de l’encourager, mais il accumule devant elle obstacles sur obstacles. La législation pénale défend aux personnes charitables de s’associer ; la législation administrative défend aux institutions charitables d’acquérir ; la législation fiscale frappe de lourds impôts les donations qu’on veut leur faire, et je ne parle pas des mesures odieuses ou simplement vexatoires que le fanatisme antireligieux de nos gouvernans édicté contre les associations charitables, lorsque leurs membres portent cornette ou soutane. Il y a conspiration véritable de nos lois et de nos mœurs contre la bienfaisance privée, et c’est là un des points sur lesquels un changement dans notre législation est le plus nécessaire.

A un tout autre point de vue, l’État a des devoirs comme patron, ou, pour me servir d’un néologisme que je n’aime guère, mais qui définit assez bien son rôle, comme employeur. Il y a en effet une foule d’existences qui, directement ou indirectement, dépendent de lui. C’est par centaines de mille qu’on les compte. L’Etat n’a pas seulement à son service des employés proprement dits dont il confisque toute la période active, depuis vingt ans jusqu’à soixante et plus, et dont il doit (ce qu’il fait au reste) assurer l’avenir. Il fait encore travailler pour son propre compte un assez grand nombre d’ouvriers dans les établissemens qui dépendent de la guerre, de la marine, ou dans les manufactures nationales, et encore dans les chemins de fer, puisque l’État s’est fait récemment exploitant de chemins de fer. Vis-à-vis de