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d’initiative qui lui appartient, doit faire usage de ce droit pour travailler autant qu’il est en lui à la solution légale des questions qui intéressent les classes laborieuses. Sans doute l’État, le gouvernement, si l’on veut, partage cette initiative avec tous les sénateurs et députés ; mais on sait cependant quel sort différent attend devant les assemblées les projets de lois déposés par le gouvernement, ou ceux qui émanent de l’initiative parlementaire, quelle autorité et quelle faveur s’attachent aux premiers, de quelles méfiances et de quelles lenteurs ont à souffrir les seconds, à moins qu’ils ne soient au contraire adoptés dans un mouvement irréfléchi. De ce pouvoir immense qui lui appartient, un gouvernement soucieux de ses devoirs devrait se servir pour procédera une révision coordonnée et réfléchie de toute notre législation civile et administrative dans un esprit favorable aux classes populaires. Je ne saurais, dans un travail restreint comme celui-ci, donner la nomenclature complète de ces réformes qui s’imposent ; je crois devoir indiquer cependant les principales.

J’ai déjà signalé la nécessité urgente de proclamer en principe la liberté d’association, que la loi sur les syndicats n’accorde que d’une façon incomplète, et de faciliter pour les syndicats, comme au reste, pour toutes les associations légalement constituées, l’acquisition de la personnalité civile qui devrait impliquer le droit de propriété. Il faudrait, en effet, envisager en face une bonne fois, afin de n’en plus avoir peur, ce fantôme de la mainmorte et, suivant une spirituelle expression, cesser de se la représenter sous l’aspect d’un squelette, toujours prêt à étendre sur la société moderne sa main froide et décharnée. L’association est une force qu’il faut laisser se développer librement et un remède qu’il faut encourager. Or, le droit de propriété est le corollaire de la liberté d’association, et c’est terreur d’enfant que d’en avoir peur.

Cette révision devrait, suivant moi, s’étendre à une matière bien autrement importante et complexe : il ne s’agirait en effet de rien moins que de notre code civil et de notre code de procédure. L’un et l’autre en effet, le code civil surtout, ont été préparés par des jurisconsultes bourgeois en vue d’une société bourgeoise. Il n’y a point à s’en étonner. L’ouvrier, à cette époque, se confondait bien plus fréquemment que de nos jours avec le salarié ordinaire, car les grandes agglomérations industrielles existaient à peine. Le contrat de louage de services avait une bien moindre importance, et l’on comprend que le législateur ait cru pouvoir régler la matière en deux articles, les articles 1780 et 1781 (dont le second est aujourd’hui abrogé), en s’en rapportant pour le reste au droit commun. Quant au peuple, c’est-à-dire à cette agglomération d’êtres humbles, souffrans et sans défense qui composent la première assise