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parlent les bergers des Chansons des rues et des bois, comme parlent Tircis et Climène, comme parlent le plus souvent Robin et Marion : ce réalisme est inutile autant que maladroit.

A quoi bon poursuivre l’analyse minutieuse de ces scènes enfantines qui se répètent et se prolongent trop longuement ? C’est le loup qui emporte une brebis que Robin délivre ; puis des scènes de jalousie à propos de Perrette, des fiançailles, des médisances, des caquetages, et des chansons encore, jusqu’au moment où Robin, menant la tresque, entraîne après lui, dans cette manière de farandole, bergers et bergères ; et tout ce petit monde gracieux disparaît en dansant.

N’est-il pas vrai que ce Jeu de Robin et de Marion répond, après tout, aux conditions du genre très secondaire de la pastorale, et qu’il excite, comme Fontenelle le réclame de toute églogue, « une surprise douce et une petite admiration ? » Adam a traité ses personnages avec agrément et virtuosité, avec le degré d’ironie et de sympathie qui convient. Les figures n’y sont plus schématiques, comme dans le Jeu de la Feuillée ; ses petits bergers vivent réellement. Il serait certes disproportionné d’analyser leur caractère : leur âme peu complexe n’est faite que de chansons et d’amourettes. Robin et Marion sont les frère et sœur aînés et ignorés de Rose et de Colas, d’Annette et de Lubin, de ces couples mignards si nombreux dans notre histoire littéraire, depuis la chantefable d’''Aucassin et Nicolete jusqu’aux poèmes bocagers de Hardy, jusqu’aux églogues de Florian et de Gessner, jusqu’au Devin de village.

Ce qu’il y a de plus curieux dans le Jeu de Robin et de Marion, c’est, à coup sûr, son public. Cette pièce fut représentée, selon toute vraisemblance, à Naples, dans l’automne de 1283 ; soit dix-huit mois après les Vêpres siciliennes. Ce souvenir tragique a sa signification. Les barons qui se plaisent ainsi à un retour de pensée et de cœur vers l’Artois, vers ce village d’Ayette, près d’Arras, où la scène est placée, les amoureux de Marion ne sont point d’élégans désœuvrés, occupés, dans des salles jonchées d’herbes et de fleurs, à agencer des rimes de chansons d’amour, selon l’art compliqué des troubadours. Non ; ces spectateurs sont les combattans des Abruzzes, de la Sicile, de Tunis, les vieux chevaliers qui savent combien la route a été rude, sous l’armure de guerre, de Bénévent à Tagliacozzo : ils sont les conquérans campés sur la terre d’Italie où depuis vingt ans ils organisent la terreur : les uns, descendans de maisons souveraines, les Courtenay, les Montfort, les Vaudemont, les Brienne ; les autres, pauvres chevaliers d’aventure, simples bannerets au partir de France, devenus princes feudataires