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Robin m’aime, Robin m’a,
Robin m’a demandée, si m’ara.


Ainsi se manifeste une fois de plus ce phénomène souvent remarqué que les sociétés les plus violentes sont celles qui se plaisent le mieux aux fadeurs des bergeries ; à l’heure la plus tragique de son histoire, la cour de Naples se réfugia un instant dans le rêve conventionnel de la paix champêtre, comme firent les hommes des guerres de religion, ceux de la Fronde, et les hommes de la Terreur.

Quelle fut, dans la composition du Jeu de Robin, l’originalité d’Adam ? Ce n’est pas lui qui a créé ses personnages, ni imaginé aucune des scènes. Tout ce petit monde champêtre vivait avant lui, dans des milliers de pastourelles lyriques, précisément de la même vie que dans sa pièce. On a souvent répété que son Jeu était directement inspiré d’une pastourelle composée par l’un des seigneurs de la cour de Naples, Perrin d’Angecort, parce qu’on y retrouve la donnée principale du Jeu (les tentatives amoureuses du chevalier) et le refrain : Robin m’aime. Il n’y a aucune raison de croire à une imitation spéciale de cette pièce ; car le même refrain se lit encore dans une autre poésie conservée, et le personnage du chevalier entreprenant est, pour ainsi dire, de style dans les pastourelles. Il suffit de feuilleter le recueil publié par Bartsch[1] pour y voir reparaître dans les moindres détails toutes les scènes de notre comédie : on retrouve par exemple dans une poésie du roi de Navarre (p. 232 du recueil de Bartsch) la comparaison faite par Marion des chevaliers et des vilains, et de même (p. 146) le refrain : « Bergeronnette, très douce compaignette, donnez-le-moi, vostre chapelet ; » dans une pièce d’Huistace de Fontaines, Marion enlevée par le chevalier appelle au secours dans les termes mêmes que lui prête Adam : « Hé ! réveille-toi, Robin ; car on en maine Marot » (p. 270) ; ailleurs (p. 52, 292), les paysans viennent comme dans notre comédie au secours de la bergère ; l’épisode de la brebis enlevée par le loup et que Robin délivre reparaît également (p. 126) ; les jeux des paysans sont encore décrits dans nombre de pastourelles : ici ils jouent au jeu que nous connaissons du roi et de la reine (p. 160) ; là, ils chantent des chansons (p. 147), jouent du fretel, dansent le vireli, l’espringerie, la treske (p. 257, 143, 179, etc.).

La pièce d’Adam de la Halle n’est qu’un centon de pastourelles, et son originalité est grande, pourtant. Comme le Jeu de la

  1. Romanzen und Pastourellen, Zurich, 1870.