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Saint-Martin sont disposés avec une simplicité dont nous ne songeons pas à nous plaindre, mais cette simplicité même, en donnant aux figures, découpées et isolées, une importance plus grande, leur impose aussi l’obligation d’être dessinées et peintes avec plus de précision. Il est singulier que cette nécessité, si bien comprise par les primitifs italiens et flamands, semble échapper à ceux qui s’y rattachent le plus. Dans le Saint Martin donnant la moitié de son manteau à un pauvre, M. Lerolle s’est souvenu de la belle miniature de Jehan Foucquet ; dans les deux peintures, nous voyons, en effet, de dos, sur la gauche, une avant-garde de cavaliers, enveloppés de leurs manteaux, entrant sous la porte d’un châtelet ; dans les deux peintures, la scène se passe sur le bord d’un fleuve, avec un fond de quais et de maisons ; mais si l’on regarde au Louvre la peinture du XVe siècle, on verra de quel côté, dans les deux figures principales, se trouvent la forme la plus correcte et l’expression la plus caractérisée. Le saint Martin de M. Lerolle est, il est vrai, un officier romain, en casque et en cuirasse, tel que nous en voyons sur les chemins de croix, tandis que celui de Foucquet est un jeune capitaine français de l’armée de Charles VII ; mais celui-ci est original et vivant, tandis que celui-là est banal et inanimé. Le pauvre est d’un dessin plus ferme et d’une bien meilleure exécution ; mais sa nudité ne paraît guère souffrir de la gelée et de la bise qui glacent tout autour de lui. Le Jésus-Christ apparaissant à saint Martin est, de tout point, mieux réussi. Le peintre a admirablement rendu la douceur pâle de la lumière matinale dans la. Salle dallée en pierres blanches où dort le jeune soldat, nu, suivant l’usage de l’antiquité et du moyen âge, sous la couverture blanche qui lui couvre le bas du corps. A gauche, dans une encoignure, tremblote la lueur jaunissante d’une veilleuse, tandis que, sur la droite, resplendissent, envolés à un pied du sol, le beau Christ, doux et tendre, la poitrine nue, les jambes enveloppées d’une draperie blanche, et les trois anges, aux cheveux bouclés, souriant, en longues robes blanches, qui l’accompagnent. C’est encore, on le voit, une de ces symphonies en blanc majeur dont nos peintres usent et abusent et dont on se lassera vite, mais il faut reconnaître que M. Lerolle l’exécute en vrai peintre. Il trouve des raffinemens de douceurs exquises dans les clairs de ses murailles, dans les clairs de ses draperies, dans les clairs de ses carnations. Avec un peu plus de décision dans les modelés, ce serait parfait : on sent toutefois, que M. Lerolle cherche cette décision, qu’il la veut, qu’il la trouvera. Dans son panneau décoratif du Soir, où deux jeunes femmes nues chantent aux étoiles, on trouve la même harmonie dans l’ensemble avec la même distinction et la