figures à ses fonds, soit qu’il consulte trop fréquemment des photographies, soit qu’il ait contracté, par une habitude d’analyse un peu menue, des habitudes de vision spéciale, qui lui détachent trop sèchement les objets de leur milieu ambiant. C’est un cas fréquent dans l’histoire des dessinateurs, un accident dont on se remet quand on a, comme M. Friant, la volonté de s’en remettre. En ce moment M. Friant poursuit, ce nous semble, deux buts : il veut donner à son dessin toute la précision désirable, non-seulement dans les têtes et dans les mains, mais dans les corps tout entiers et, au besoin, dans les nus ; il s’efforce en même temps de donner à sa peinture plus de force, de largeur et d’unité. Le danger auquel s’exposent tout d’abord les jeunes peintres qui s’acharnent à l’analyse détaillée de la réalité, le danger que n’avait pas, dans ses premières œuvres, évité Bastien Lepage, c’est d’apporter, dans leur exécution, plus de finesse que de solidité, plus de délicatesse que d’ampleur ; mais c’est un danger honorable, auquel s’exposent seulement les bons travailleurs, et d’où l’on sort d’ordinaire, lorsqu’on possède un bon tempérament, fortifié pour toute sa vie. Que la peinture de M. Friant reste encore çà et là, un peu mince et sèche, et même quelquefois désaccordée, il n’y a pas à s’en effrayer ; l’important est qu’on y sente partout l’effort intelligent pour se posséder. Dans plusieurs morceaux de cette année, comme dans le mendiant assis de la Toussaint en 1889, on voit cet effort aboutir ; on reconnaît la main d’un peintre en même temps que celle d’un dessinateur. Nous n’en voulons pour preuve que le joli petit portrait d’une vieille dame, habillée de noir, coiffée de son chapeau, assise dans son appartement. Les détails du mobilier sont encore un peu confus et compliqués, mais avec quelle intensité d’observation, quelle vivacité et quelle justesse d’exécution, la figure est posée, analysée, menée d’un bout à l’autre ! Dans le Portrait de M. B.., de plus grandes dimensions, on voit aussi les parties principales brossées avec toute la souplesse et la force qui conviennent. La Lutte de deux jeunes gens, en caleçons courts, auprès d’une rivière, devant un jury d’autres jeunes baigneurs, est la pièce capitale de l’exposition de M. Friant. On ne saurait dire que ces deux figures nues, en plein mouvement, dans des attitudes violentes, déploient suffisamment, dans l’effort musculaire, l’ardeur, la vigueur, la saillie qu’elles devraient avoir. Le contour reste un peu sec, le modelé en surface et léger, mais tout est bien en place, cherché avec soin ; c’est une étude préparatoire excellente pour des œuvres plus libres. De telles habitudes de précision se trouvent naturellement plus à l’aise dans des petites toiles. La Discussion politique, le Retour de la pêche, le Vagabond, compositions bien disposées,
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