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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/126

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Christ qui bénit; à côté de lui le disciple bien-aimé, dans l’attitude traditionnelle, la tête appuyée sur la table; en face, Judas, tout saisi et tout tremblant. Parmi les autres apôtres, l’un ouvre les mains comme frappé de stupeur (c’est le précurseur du troisième avant-dernier apôtre de droite dans la composition de Léonard) ; un de ses voisins joint, au contraire, les siennes en témoignage de surprise; un autre laisse retomber sur sa main sa tête, dont la fatale découverte semble lui avoir rendu le poids insupportable ; d’autres se font part de leurs soupçons ou s’abîment dans leurs réflexions. La mimique, on le voit est des plus animées; elle abonde en traits pris sur le vif et qui témoignent de rares facultés d’observateur. Quant aux figures considérées en elles-mêmes, elles sont graves, austères, presque grandioses. L’ordonnance, voilà le côté faible de cette page importante, que Léonard a incontestablement connue, puisqu’il l’a imitée : Andréa y a isolé les acteurs au lieu de les relier les uns aux autres en groupes harmonieux ; il a donc sacrifié et la variété des lignes et la richesse des combinaisons. N’importe! Par son caractère de profonde conviction et par la vivacité des gestes, la fresque, trop peu connue, d’Andréa del Castagno est celle qui se rapproche le plus du chef-d’œuvre de Léonard.

Avec la fresque de Domenico Ghirlandajo, au couvent de Saint-Marc, à Florence, nous retombons dans les erremens des Primitifs. Rien de plus défectueux que le groupement : les apôtres, placés au bout de la table, sont trop serrés, ceux qui se tiennent aux côtés du Christ trop espacés; saint Jean, plié en deux, forme de ce côté un trou désagréable que la figure de Judas, placé en face, en dehors de la table, est impuissante à boucher. Le manque d’animation et le manque d’unité ne rachètent pas ce premier défaut : la plupart des apôtres ne savent que penser, à plus forte raison que dire. L’un joint les mains et lève les regards au ciel; un autre écarte les plis de sa toge, sans que l’on sache pourquoi; nul enfin ne montre d’éloquence ni même de force. Ghirlandajo a d’ailleurs représenté l’institution de la Cène (Dispono vobis sicut...), plutôt que la révélation de la trahison de Judas.

Une Sainte Cène contemporaine de celle de Léonard orne le réfectoire du couvent de Sant’ Onofrio, également à Florence; des juges délicats, entre autres M. Vitet[1], l’ont attribuée, mais sans fondement, à Raphaël. C’est une œuvre timide; n’était l’expression juvénile et gracieuse de certaines têtes, on serait tenté de la traiter d’enfantine, tant il y a d’inexpérience dans la conception dramatique du sujet : l’apôtre bien-aimé, la tête retombant sur la

  1. Voyez la Revue de 1850 et de 1862.