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à l’Académie fondée par lui à Milan. Il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, d’un corps académique, institué pour consacrer le talent, ni peut-être même destiné à donner des cours publics ; mais, selon toute probabilité, d’une réunion libre d’hommes unis par la communauté des études et des goûts, discourant, travaillant ensemble, et par là même exerçant une action plus féconde. Six gravures contenant des entrelacs avec l’inscription : Academia Leonardi Vinci, voilà tout ce que nous possédons, en fait de documens, sur cette institution mystérieuse, qui a certes joué un rôle actif dans la formation de l’école milanaise, et on peut ajouter dans la genèse de la science moderne.

On se représente d’ordinaire l’académie de Léonard comme une de ces compagnies essentiellement graves et formalistes qui, mises à la mode par le XVIe siècle, trouvèrent au XVIIe leur complet épanouissement. Quel anachronisme ! L’époque que nous étudions avait encore trop de sève et d’indépendance pour se renfermer dans une réglementation aussi étroite. Abstraction faite du royaume de Naples, où les distinctions extérieures tinrent de fort bonne heure une place considérable dans l’encouragement de l’art, de la littérature et de la science, on ne trouve, dans l’Italie de la première renaissance, que quelques réunions amicales, sans lien rigoureux, et nullement des institutions officielles. À la cour des Sforza notamment, les poètes, les artistes, les savans pouvaient s’attendre à la fortune et à la gloire, mais en aucune façon à des honneurs déterminés, tels que les titres de chevalier, que l’on commençait à leur conférer soit à Rome, soit à Naples. Tout au plus Ludovic le More ceignit-il publiquement de la couronne de poète son favori Bellincione et créa-t-il comte de Rosate le médecin Gabriel Pirovano, qui l’avait guéri.

Ce qui prouve bien qu’il ne s’agissait pas d’une institution analogue à nos académies ou écoles des beaux-arts modernes, c’est que Léonard ne cessait de prendre en pension des élèves, c’est-à-dire des apprentis. Il avait fixé la rétribution à cinq livres par mois, compensation bien faible en regard de tous les ennuis que lui suscitait l’apprentissage, avec le cortège de corvées qu’il comportait alors. Écoutons ses doléances ; elles ajoutent un nouveau témoignage à ce que nous savons de sa mansuétude. « Jacques vint demeurer avec moi le jour de la fête de sainte Marie-Madeleine 1490. Il avait dix ans. Le second jour, je lui fis tailler deux chemises, une paire de chausses et un pourpoint ; quand je mis de côté l’argent pour payer ces objets, il me prit l’argent dans la bourse, et jamais je ne pus le lui faire avouer, quoique j’eusse la certitude du vol. Voleur, menteur, entêté, gourmand. Le lendemain, j’allai souper avec Jacques André et le susdit Jacques ; celui-ci mangea