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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/150

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iconographiques, lui ont permis de montrer à nos yeux les personnages de son récit, empereurs et impératrices, patriarche et grands dignitaires de la cour, légionnaires grecs et auxiliaires barbares, guerriers russes, bulgares ou arabes du Xe siècle. Dans les vastes annales de Byzance, l’époque dont M. Schlumberger se proposait de renouveler l’histoire par toutes les ressources de l’érudition et de l’art a été fort heureusement choisie. C’est une de celles où l’empire grec se montre le plus énergique et le plus heureux contre les barbares qui l’assiégeaient depuis tant de siècles, reconquérant sur les Arabes la Crète et la Syrie, mettant aux prises sur le Danube les Bulgares et les Russes, disputant aux Allemands la possession de l’Italie. C’est une de celles aussi où les questions d’ordre intérieur présentent le plus de variété : conflits du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, efforts du prince pour protéger les petits propriétaires contre les grands, résistance de l’État aux empiétemens territoriaux des monastères. Dans le palais même, un drame des plus émouvans qui se poursuit à travers les victoires du dehors et les réformes du dedans ; l’amour de Nicéphore Phocas pour la belle impératrice Théophano, leur mariage après l’élévation de celui-là au trône, puis le caprice de celle-ci se détournant du mari choisi et couronné par elle, s’excitant à une autre intrigue, mettant le couteau aux mains de l’amant contre l’époux. Nous n’entreprendrons pas, après M. Schlumberger, de raconter les exploits et les infortunes de son héros. Le drame met en présence deux personnages principaux, l’empereur Nicéphore Phocas et l’impératrice Théophano. L’intérêt capital du livre est peut-être dans l’opposition et le contraste de ces deux natures; l’homme vaillant, dévot et fruste, presque un primitif; la femme perverse, raffinée et sceptique, une fleur de décadence. En les étudiant de plus près, ce sont deux aspects très différens de cette civilisation byzantine, si variée et si complexe, qu’on peut saisir à la fois. Nicéphore représente la province, la montagne arménienne, les camps, c’est-à-dire les élémens rudes et forts, à demi barbares; Théophano, c’est Constantinople, c’est la grande ville, avec ses élégances et ses corruptions. Ils marquent comme les deux termes extrêmes d’une évolution historique; ce sont deux types humains qui pourraient appartenir à deux époques séparées par des siècles et qui cependant sont rapprochés par le jeu des événemens ; plus que rapprochés, unis, mariés ; et cette union même fait éclater les incompatibilités d’humeur et de race, au point qu’elle ne peut se dissoudre que par un meurtre. A propos de Nicéphore et de Théophano, on peut essayer de bien comprendre ce qu’était un empereur et ce qu’était une impératrice d’Orient, ce qu’était le palais et ce qu’était le harem de Byzance. C’est le principal objet de cette étude.