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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/167

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de la Vierge au grand mât de ses navires et faisait porter la vraie croix à l’avant-garde de son armée. Le chant de guerre, par lequel s’animaient les troupes, c’étaient des hymnes, le cantique de Moïse au passage de la Mer-Rouge, les psaumes de David, ou bien le Staurikon, le chant de la croix. Leur cri de guerre, c’était : « Christ vainqueur! » Les exhortations des empereurs et des généraux, c’étaient des sermons. Quoi de plus naturel, puisque tout ennemi de l’empire était nécessairement un ennemi de Dieu et qu’en dehors de la romanité, il n’y avait que des infidèles, comme les musulmans et les païens, des hérétiques, comme les manichéens, et, à partir du XIe siècle, des schismatiques, comme les peuples latins ? Basile Ier ne se faisait pas scrupule de demander à la Vierge la faveur de percer de trois traits la tête de son ennemi, l’hérétique Chrysochir. Avait-on remporté la victoire, on l’attribuait à une intervention divine : c’était saint Démétrios qui avait sauvé Thessalonique, saint André qui avait fait lever le siège de Patras, saint Théodore qui avait vaincu les Russes à Dorostole (Silistrie). La Vierge conductrice avait fait merveille contre les Arabes, l’image d’Edesse contre les Perses. Le maphorion (scapulaire ou mantille) de la Mère de Dieu, plongé dans les flots du Bosphore, avait soulevé la tempête dont la flotte russe fut engloutie. Aussi, quand on célébrait le triomphe à l’Hippodrome, c’était la Théotokos qui paradait dans le char attelé de chevaux blancs, tandis que l’empereur suivait à pied, portant une croix sur l’épaule.

Les lois de l’empire régissent l’Église, et les décrets des conciles sont obligatoires dans l’empire. L’hérésie, l’apostasie, le sacrilège, sont crimes d’Etat ; la rébellion contre l’empire est un sacrilège : se révolter, c’est « lever le talon de l’apostasie. » Contre les rebelles, on emploie à la fois le glaive temporel et l’excommunication. Une Novelle de Constantin VII est intitulée : « De l’anathème contre les apostats, » c’est-à-dire les conspirateurs. M. Schlumberger nous montre Nicéphore Phocas anathématisé lorsqu’il fit son pronunciamiento pour s’emparer du trône : « ses os ne devaient pas reposer dans le tombeau. » Mais cette même arme de l’anathème, quelques jours après, lorsqu’il eut reçu l’onction sainte, se tournait contre ses adversaires.

Comme l’empereur est l’image de Dieu, l’empire doit être l’image du ciel. « Quand nous montrons dans la puissance impériale cet ordre et cette harmonie, nous dit l’auteur du Livre des cérémonies, nous représentons en miniature l’ordre et le rythme que le Démiurge a mis dans l’univers. » L’empire, c’est donc la reproduction terrestre de la cité de Dieu. Il est l’État chrétien par excellence ; romanité et chrétienté sont synonymes. L’idée religieuse