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dont le domaine est, à vrai dire, singulièrement agrandi. Or la science a constaté que l’organisation physiologique de l’enfant ressemble à celle du père : si ce poitrinaire ou ce cancéreux est envahi par un mal incurable, c’est qu’il a reçu de ses parens le germe de la tuberculose ou du cancer. Qu’y peut-il ? La maladie le prend à son berceau, l’étreint et le couche, au jour fixé, dans la tombe. Il joue son personnage et ne le compose pas. Pourquoi donc en serait-il autrement du penchant au crime ? En admettant qu’il faille encore discerner les sciences morales des sciences naturelles, il n’y a pas deux manières d’arriver à la découverte du vrai : la psychologie n’est qu’une branche de la physiologie. M. Ferri consent à reconnaître l’existence de règles « psycho-anthropologiques, » mais à la condition d’écarter d’abord « les incertitudes de la théologie et de la métaphysique, » c’est-à-dire l’âme et Dieu. Tout se réduit à l’étude d’un organisme tangible, qui est le corps humain, et l’évolution « psycho-morale » n’est, par conséquent, qu’un mode de l’évolution physiologique. La loi de l’hérédité s’applique donc, avec une égale rigueur, dans un cas comme dans l’autre.

Ce qui frappe, avant tout, dans cet exposé succinct de la première thèse anthropologique, c’est l’oubli de la méthode expérimentale qu’on prétend appliquer. D’abord il est avéré que toutes les maladies ne sont pas héréditaires ; ensuite il n’est pas établi, tant s’en faut, que les maladies réputées héréditaires se transmettent nécessairement. Nul n’ignore, par exemple, que l’enfant né d’un père valétudinaire et d’une mère saine peut tenir de l’un comme de l’autre ; ajoutons : peut ne tenir ni de l’un ni de l’autre. Ensuite on greffe une conjecture sur une conjecture : la pensée, le sentiment, la volonté n’étant pas des choses tangibles, il reste à démontrer qu’on peut les assimiler à des faits « somatiques, » c’est-à-dire les soumettre aux mêmes règles que des phénomènes purement physiologiques. Or, en affirmant qu’il faut écarter d’abord « les incertitudes de la métaphysique, » on énonce une proposition négative, et l’on n’a rien prouvé du tout. Il faut donc, sous peine de manquer jusqu’au bout à la méthode expérimentale, faire appel à la statistique ; mais les prémisses de la science exacte ne s’accordent pas avec les conclusions de la science conjecturale. À quelque source qu’on puise, on découvre que les criminels issus de parens ayant subi des condamnations sont en minorité[1], que les criminels nés de parens honnêtes forment à

  1. Voir, entre autres documens, les chiffres cités par M. d’Haussonville dans la 'Revue du 1er avril 1887.