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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/188

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Cette théorie de l’élimination est la plus impitoyable et la plus décourageante qui ait hanté le cerveau des savans et des philosophes. Il y a déjà plus d’un siècle que l’humanité, rougissant des anciens systèmes répressifs, s’est révoltée contre un régime pénitentiaire propre à dégrader le coupable, à lui inspirer des sentimens abjects, à fomenter en lui la haine et la vengeance. Non-seulement elle a maudit les peines dépravatrices qui préparent le criminel à de nouveaux crimes et doublent le péril social ; mais, soulevée par une grande espérance, elle s’est élancée vers des horizons nouveaux. Elle a jugé possible d’organiser un système de peines correctionnelles en même temps qu’afflictives, c’est-à-dire de parler à l’âme du coupable, de l’amender en le frappant, de vaincre ses habitudes de paresse, de lui donner un apprentissage professionnel, une instruction morale et religieuse ; elle n’a pas désespéré de le convertir. De là, ces prisons coûteuses dans lesquelles on ouvre la cellule des détenus aux communications bienfaisantes en la fermant aux communications corruptrices ; de là ces œuvres de sauvetage, de patronage et de protection fondées en faveur de l’enfance abandonnée ou coupable, ces colonies pénitentiaires, ces asiles, ces ouvroirs où l’on reçoit des milliers de petits vagabonds et de petits voleurs dans une vue de redressement et de régénération ; de là ces libérations conditionnelles qui s’introduisent peu à peu dans les principales législations de l’Europe et de l’Amérique pour récompenser, après un certain temps d’épreuve, les détenus dont la conduite fait supposer l’amendement. Mais tout cela devient absurde, si le délit n’est que la manifestation d’une loi d’évolution, ou si la criminalité n’est que le résultat fatal d’une mauvaise organisation cérébrale. Aussi M. Ferri, le théoricien de l’école, commence-t-il par nier le remords : « Sauf les délinquans entraînés par l’élan d’une passion, les malfaiteurs, par l’effet d’une insensibilité qui leur est propre, ne sentent pas plus le remords après avoir commis le mal, qu’ils n’éprouvent de répugnance avant de le commettre. » Il va, par conséquent, nier l’amendement : « l’homme n’est pas libre, dit-il : dès lors, que sert-il de le contraindre à s’amender ? Celui qui sera sorti de prison, même après avoir donné des preuves de sa résipiscence, retournera là où le délit a son foyer, là où il donne son impulsion, préparant une société corrompue et corruptrice[1]. » Ainsi donc le temps des illusions est passé : la peine doit être exclusivement répressive, parce qu’elle atteint des êtres également incorrigibles,

  1. Voir, sur cette théorie de M. Ferri, l’article de M. Albert Desjardins publié en janvier 1888 dans le Bulletin de la société générale des prisons.