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se demande pas si, par amour de l’humanité, ses faiseurs de lois n’ont pas sacrifié les premiers intérêts de l’humanité. N’a-t-on pas trop désarmé ? La criminologie positiviste est de cet avis. Sans cesser de maintenir la théorie du libre arbitre et la proportionnalité de la peine à la culpabilité, les criminalistes de l’ancienne école auront à tenir compte, en ce point, de ses travaux et de ses leçons, ne fût-ce que pour empêcher l’abus des circonstances atténuantes, à plus forte raison l’introduction des circonstances « très atténuantes » et pour défendre la légitimité de la peine capitale contre trois ou quatre survivans du XVIIIe siècle.

C’est au même mouvement d’idées qu’il faut attribuer la réaction de l’opinion publique contre le jury. Quand un certain nombre d’anthropologues traitent cette institution de « prudhommesque, » la comparent ironiquement à la garde nationale et proposent de l’enterrer au plus vite, ils n’ont pas de courant à remonter. Il y a trente ans, une telle proposition eût discrédité leur système ; je crains qu’elle ne le réhabilite. Quelques acquittemens inattendus ont été débattus et blâmés par la presse parisienne : de grands journaux qui suivent ordinairement l’opinion générale et la guident quelquefois, se sont avisés de juger ces juges populaires, et les ont malmenés. Un de nos plus illustres philosophes ne se plaignait-il pas hier encore, dans une notice lue à la séance publique de l’Académie des sciences morales, de retrouver « l’influence des doctrines ambiantes, » non-seulement au théâtre et dans les romans, mais « dans les jugemens du jury ? » Peut-être, au moment où nous écrivons ces lignes, faut-il un peu plus d’indépendance pour défendre le principe de l’institution que pour l’attaquer. Profitons donc de la nouvelle leçon que nous donnent M. Garolalo et ses alliés, non pour supprimer le jury, mais pour l’améliorer, La magistrature française, par exemple, suspecte, quoi qu’elle fasse, à d’implacables adversaires, incessamment secouée par nos révolutions politiques, dénigrée par les uns et mollement défendue par les autres, ne peut plus administrer la justice pénale à elle seule ; elle succomberait à cette tâche écrasante, sans profit pour le pays. Mais ne pourrait-on pas enlever au jury les crimes contre les mœurs, les avortemens, même les infanticides ? est-il utile de déplacer et d’arracher à leurs affaires un si grand nombre de citoyens pour juger, entre autres infractions, les vols commis par des domestiques, des aubergistes ou des voituriers ? Personne n’ignore que, dans la pratique, le ministère public, d’accord avec le juge d’instruction, correctionnalise un certain nombre de crimes secondaires, et que les prévenus, loin d’accepter la suppression des circonstances aggravantes, avec la perspective d’une