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relation personnelle avec le roi, avait su désarmer ses préventions grâce à l’agrément de ses manières. Cette fonction, de plus, l’avait éloigné de Londres, au moment de la crise de l’année précédente, dont le dénoûment avait été si pénible pour la royauté, obligée de congédier son favori, après quelques jours seulement d’un pouvoir éphémère. George ne voyait pas en lui un des auteurs directs de l’humiliation qu’il avait dû subir. Faut-il croire aussi, suivant la remarque ingénieuse que fait à cette occasion un noble historien anglais (descendant lui-même de Chesterfield), qu’un esprit vulgaire ne peut contenir qu’une certaine dose d’affection et de haine et la transporte toujours d’un sujet à l’autre sans la diminuer ni l’accroître? Bref, Chesterfield, d’ennemi personnel qu’il était la veille, se voyait l’objet, sinon d’une faveur, au moins d’une préférence royale. — « j’ai foi en vous (I believe you), » lui avait dit le roi. Il fallait bien répondre à cette confiance, au moins au début, par un peu de complaisance, et sans renoncer à ses sentimens personnels, les contenir au fond de son cœur jusqu’à un moment plus propice pour les produire au dehors[1].

C’est, ce me semble, ce que laissait entendre le nouveau secrétaire d’Etat, avec le tour habituellement gracieux de son esprit, en répondant à une de ses amies françaises, qui, apprenant qu’il était ministre, croyait déjà la paix conclue. « Vous me demandez la paix comme si je l’avais en poche : je voudrais bien l’y avoir. Si vous voulez la prendre comme je vous la donnerais, vous l’aurez dès demain : mais malheureusement, vous voulez que nous la prenions telle que vous nous la voulez donner, et voilà ce que nous ne voulons pas plus que vous ne voulez de la nôtre. Dans cette différence de sentimens, je doute fort si les plénipotentiaires à Bréda seront assez habiles pour constater un certain milieu raisonnable, et il me semble que vous nous forcerez à renvoyer cette négociation à cent quarante mille plénipotentiaires que nous aurons en Flandre, et à soixante mille autres qui vont actuellement négocier en Provence[2]. Je ne doute nullement que vous n’envoyiez à leur rencontre un nombre égal de ministres que vous croyez aussi habiles qu’eux, et le résultat de ces conférences sera sûrement plus intéressant et plus décisif que ne le serait celui des conférences de Bréda. Pour dire deux mots sur cet article, voici la vérité du fait. J’avoue vos succès en Flandre : avouez-moi vos pertes en Italie. Vous voulez une paix sur le pied de vos succès : une telle paix nous serait aussi funeste que la campagne

  1. Coxe. — Pelham administration, t. I, p. 340 à 346. — Journal de lord Marchemont (ami de Chesterfield), t. I, p. 180 et suiv.
  2. La lettre est écrite avant la séparation de la conférence et pendant l’invasion de la Provence.