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pas à en faire les frais, le marché était à débattre et en attendant qu’il fût conclu, personne ne bougeait[1].

En réalité, aucun mouvement sérieux n’aurait pu être suscité dans le midi de l’Allemagne tant que les deux principales puissances du nord, Saxe et Prusse, décidées à rester en repos, maintenaient la confédération entière dans un équilibre pacifique. Or. sur ces deux théâtres de grande, bien qu’inégale importance, une résolution pareille était dictée par des sentimens différens : Auguste III avait trouvé le moyen de devenir le parent et même pécuniairement l’obligé de Louis XV, sans cesser d’être l’ami de Marie-Thérèse. Ce tour de force politique était dû à l’habile manœuvre de Brühl que j’ai fait connaître. En faisant prendre à son souverain un rôle de médiateur plus apparent que réel, et en prolongeant cette situation à dessein sans beaucoup d’espoir d’aboutir, cet adroit ministre lui avait permis de rester en relation avec les deux ennemis, et de jouer un double jeu sans être accusé de duplicité. Grâce à cet artifice, Auguste pouvait être à la fois dans les confidences intimes de Versailles par l’appui fraternel de Maurice et par les filiales communications de la dauphine[2], et le même jour négocier son accession à un traité de garantie et de défense réciproque de l’Autriche et de la Russie. C’était pourtant là une balance d’intérêts et d’affection très difficile à maintenir, et qu’un parti décisif, dans quelque sens qu’il fût pris, aurait troublé. Auguste, d’ailleurs, ne pouvait oublier que, s’étant trouvé successivement, depuis le début de la guerre, l’allié, tantôt de la France, tantôt de l’Autriche, il n’avait pas été plus à son aise dans un camp que dans l’autre : l’une des deux alliances l’asservissant aux caprices, et l’autre l’exposant à la colère de son fâcheux voisin de Prusse. Ce souvenir toujours présent suffisait pour que son opposition fût assurée à toute mesure qui l’aurait exposé à être de nouveau appelé sur le champ de bataille. Et dans l’état de division de l’Allemagne, une résistance moins puissante même que celle du vicaire-général de l’empire aurait suffi pour tout arrêter. « Dites bien au roi, monsieur l’ambassadeur, disait Auguste un jour à l’envoyé de France, que l’Allemagne est comme la Pologne, chacun y a sa voix, et on ne peut jamais être unanime : comptez sur moi et sur mes amis. » Puis,

  1. Voir sur la tentative d’association des cinq cercles la Correspondance de Lanoue, résident à Francfort. (Correspondance d’Allemagne.) — Et pour le pacte de famille de la maison Palatine, celle de Tilly résident à Manheim, d’Aunillon à Cologne et de Renaud à Munich.
  2. La dauphine, dit Chambrier, accroche tout ce qu’elle peut par Mme de Pompadour et par toutes les cordes qui tiennent au roi de France (22 avril 1747). — Ministère des affaires étrangères.