Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la république, dès que l’état de la mer le permettrait (la voie de mer étant la seule ouverte), un corps de douze mille hommes, moitié Français, moitié Espagnols, et, pour relever le caractère de l’expédition, on lui donnait comme chef un très grand seigneur qui était aussi un bon militaire, le duc de Boufflers. effectivement, dès le commencement de mars, les bataillons français étaient embarqués, partie à Toulon, partie à Marseille ; mais des deux convois, un seul put arriver au port, l’autre ayant dû renoncer à passer sous le feu des croisières anglaises. Quant aux bataillons espagnols, ils avaient dû être expédiés de Naples, où leur présence était inutile (puisque l’infant qui y régnait n’avait à craindre aucune attaque). Mais à l’heure dite, on n’en entendit pas parler, et La Mina (ce fut le premier sujet de querelle entre les deux généraux) ne se mit nullement en peine de les faire venir, de sorte qu’en définitive le secours annoncé se borna à un faible corps de deux à trois mille hommes, très inférieur à l’attente de la population et peu en rapport avec la dignité de son commandant.

Le duc de Boufflers n’en fut pas moins très bien accueilli ; et, pour faire oublier le pauvre appareil dans lequel il se présentait, il crut devoir enfler son langage et donner en paroles et en promesses ce qu’il n’apportait pas en réalité. — « Sérénissime prince et très excellens seigneurs, disait-il au doge et au sénat de Gênes, le monarque de l’Europe le plus puissant, et, ce qui n’est pas un moindre titre, le plus fidèle à ses engagemens, m’envoie vers vous pour partager vos travaux et votre gloire. Il m’ordonne de déclarer qu’il est résolu, à quelque prix que ce soit, de rendre à cette généreuse et infortunée république la splendeur et l’indépendance que les nations les plus barbares rougiraient de vous disputer... Une puissance décidée à vous subjuguer a détruit vos forteresses, elle a tenté de vous réduire à l’esclavage le plus humiliant,.. mais elle n’a pu vous enlever ni votre honneur ni votre liberté ; ces biens inestimables, mille fois plus précieux que la vie, sont en votre pouvoir... C’est à vous-même que vous devez cette heureuse révolution qui a prévenu le secours de vos alliés; c’est vous, illustre république, qui vous rendez l’émule de cette ancienne Rome, de ce sénat romain dont la présence d’Annibal et d’une armée victorieuse, répandue sous ses murailles, ne put ébranler le courage. Ne perdez donc jamais de vue vos véritables intérêts : d’un côté la honte et l’esclavage, de l’autre la gloire et la liberté... Très excellens seigneurs, daignez prendre confiance, je vous en conjure, en l’homme du monde qui a le plus à cœur votre liberté. Je n’en suis que meilleur Français en devenant le plus zélé de vos citoyens. Montrez-moi le péril ; ma charge est de le connaître. Je ferai toute ma gloire de vous en prémunir. »