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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/356

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Morgue, par des faits bizarres, en apparence inexplicables, et qui doivent cependant avoir une raison d’être. Ainsi, dans les statistiques qui établissent le quartier de provenance des cadavres apportés au dépôt, c’est toujours Saint-Germain-l’Auxerrois qui lient la tête avec un chiffre d’entrées variant de 25 à 30, tandis que certains quartiers, comme le Palais-Royal, la Santé, les Arts-et-Métiers, les Épinettes, reviennent, avec la même régularité, à la queue de la liste ; c’est à peine s’ils envoient un ou deux cadavres par an. Le hasard a ses lois ; mais, dans le cas particulier, elles sont bien difficiles à pénétrer. À part son large contact avec la Seine, qui est, en somme, la grande source où puise le dépôt du quai de l’Archevêché, nous ne voyons pas ce qui peut valoir au quartier Saint-Germain-l’Auxerrois son triste privilège.


II.

Nous avons expliqué plus haut, en quelques mots, la destination si complexe de la Morgue. Ajoutons qu’elle fonctionne, avant tout, au milieu de tous les cadavres qu’elle recueille, comme un des rouages indispensables de l’état civil.

Dans toute société bien organisée, chaque individu doit avoir ses papiers en règle ; nul n’y entre sans l’acte de naissance qui établit sa personnalité civile, nul n’en sort sans l’acte de décès qui éteint cette personnalité. Il en serait du moins ainsi si les registres de l’état civil pouvaient être tenus avec toute la rigueur qu’exige la loi. S’il est difficile de faire disparaître un cadavre, il est malheureusement souvent impossible de restituer son identité au corps repêché dans la Seine ou trouvé dans quelque rue de Paris. C’est à la recherche de cette identité qu’est surtout destinée la Morgue ; c’est à obtenir la reconnaissance du plus grand nombre possible de corps que l’administration met tout son zèle et toute son activité.

On se demande, avec M. Guillot, si le personnel est réellement suffisant pour une pareille tâche et comment les deux fonctionnaires sur lesquels retombe tout le travail des écritures peuvent arriver à consommer tant d’encre, de papier, d’imprimés et de registres. Nous sommes loin du temps de la légende où certain greffier trouvait des loisirs pour jouer du piano dans son cabinet et pour cultiver des fleurs sur l’appui de sa fenêtre.

Le greffier et son adjoint doivent d’abord faire face à tout le travail qu’exige la constatation des identités ; ce n’est pas une petite besogne, comme on va le voir : établissement des actes de décès, inhumations, demandes de renseignemens au dehors, correspondance avec les maires, les commissaires de police, les familles,