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que les contemporains de Philippe le Bel. C’est ce qu’il a été donné au public de constater l’année dernière, lorsque la bibliographie relative au procès de l’ordre du Temple, qui se composait déjà d’une centaine de volumes ou de brochures, s’est enrichie coup sur coup d’un nouveau réquisitoire et de nouvelles apologies. Mais ces livres récens sont heureusement, pour la plupart, accompagnés de pièces inédites, empruntées aux archives du Vatican et aux archives locales. S’ils ne sont pas d’accord, ils achèvent de placer sous nos yeux la meilleure partie des pièces qui avaient été produites par charretées pour l’édification des pères du concile de Vienne, en 1311 ; ils ont assez bien disposé les faits dans leur ordre chronologique pour qu’il soit facile désormais de les embrasser d’un coup d’œil, et de haut. Voilà un exemple frappant, et d’ailleurs fort rare, d’un gain net que la science tire d’une guerre prolongée des érudits autour d’un problème historique. On n’a que trop souvent à constater, au contraire, la justesse de cet aphorisme d’Edgar Poë, que l’accumulation des livres sur un sujet donné est un des plus sérieux obstacles au progrès des connaissances sur ce sujet.


I.

L’ordre du Temple fut fondé, après la première croisade, pour défendre les lieux saints et pour protéger les pèlerins. Le premier maître, Hugues de Payns, Champenois comme saint Bernard et saint Robert de Molême, voulut faire de ses « pauvres chevaliers du Christ » la gendarmerie de la Palestine. Ils s’établirent dans le voisinage du temple de Jérusalem, d’où leur nom de templiers. Au concile de Troyes, en 1128, ils reçurent une règle brève et dure, dictée, dit-on, par saint Bernard, une règle toute cistercienne qui leur imposa, sous des peines sévères, l’observance des trois vœux monastiques : obéissance, pauvreté, chasteté. Nous avons le texte de ce document des temps héroïques, où tous les détails de la vie des moines-soldats sont prévus : qu’ils aient des armes solides, mais simples ; ni or ni argent aux étriers ou aux éperons ; qu’ils aient, par-dessus le haubert de mailles, un manteau d’uniforme, blanc pour les chevaliers, noir ou roussâtre pour les sergens et les écuyers : « Blanche robe signifie, pour ceux qui ont abandonné la vie ténébreuse du monde, réconciliation avec le Créateur. » Eugène III ajouta plus tard la croix rouge au manteau blanc. L’équipement doit être de couleur sombre, sans ornemens ; si un chevalier a pris ou reçu un harnais doré, qu’il gratte la dorure avant de s’en servir, « afin d’éviter l’orgueil. » Que tous aient les cheveux tondus à l’ordonnance, « afin de pouvoir regarder devant et derrière, »